Plus on apprend plus on ne sait rien

 

Dans les années 2000, Sécuritas, éminente entreprise de sécurité privée, missionna des jeunes femmes afin d’infiltrer les réseaux altermondialistes de Suisse romande. L'entrisme fut mandaté par Nestlé, à l’origine du légendaire lait concentré sucré et, accessoirement multinationale chevillée à l’identité helvétique.

Une bonne histoire retrace le Nestlégate et renouvèle le théâtre documentaire. Ainsi, Adina Secretan élude la recension des faits et se concentre sur les taupes : Sara Meylan et Shanti Müller. La proposition repose sur des témoignages, à commencer par celui de Sara. Celle-ci revient sur ses motivations : le salaire 28 francs de l’heure, 6 unités de plus que le SMIC suisse, ajouté à un certain goût pour l’aventure. La préposée détaille les travaux d’approche conduit par Gérard, petite boule de faux calme, et sbire de Sécuritas. On se croirait dans un roman de John Le Carré (La Taupe) transporté sur les rives du Lac Léman.

Pour Shanti, l’approche diffère. Car Shanti n’est plus là. En conséquence, Adina Secrétan part à la rencontre des activistes qui l'ont côtoyée.

 

J’ai voulu transcrire exactement la parole prononcée.

Joëlle Fontanaz et Claire Forcaz endossent les soupirs, les redites, les hésitations qui scandent chaque intervention. Cette diction chaloupée ponctue des récits où s’entremêlent le factuel, l’intuition, le jugement, la déduction. Dans leur contribution, les témoins exposent autant qu’il fictionnent.

En conséquence, plus on apprend, plus on ne sait rien.

Shanti, sa surcharge pondérale, ses deux petites couettes à la Heidi s’enfuit dans le furtif, se dissout dans l'évanescence. C’est comme si au cinéma, l’insaisissable Keyser Söze (Usual Suspects Bryan Singer 1995) noyautait Les Infiltrés (Martin Scorsese 2006).

Un castelet de marionnettes haut lieu de manipulation, une loge d’artiste, fief du changement d'identité, des lettres lumineuses qui sourdent de l’opacité ; la mise en scène appuie sur l’énigme, cultive l’incertain.

A la toute fin, les épisodes du Nestlégate s’énumèrent dans leur continuité, sans qu’on n'en apprenne plus sur les racines de l’affaire. Le mystère reste entier dans cette Bonne histoire qui propose néanmoins une captivante plongée dans les méandres et les fragilités de la perception et parole. Avec ses deux formidables actrices, Adina Secrétan élabore un moment de théâtre déroutant, vertigineux, en tous points édifiant.

Chartreuse de Villeneuve lez Avignon : 19H, jusqu’au 18 juillet. Avec SCH, la Sélection Suisse en Avignon.

Réservations : https://chartreuse.org/site/en/node/2566

 

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