Ange passe

Actualité du 29/06/2025

 

L’automne, une route en rase campagne, une faible lueur de phares perce le crépuscule battu par la pluie. L’ouverture de Ange n’est pas sans analogie avec la grisaille détrempée qui enveloppe Les Princes. En 1983, Tony Gatlif, signait un second film qui imposa Gérard Darmon alias Nara le gitan, jeté sur le macadam avec sa fille et sa mère.

La nation tzigane, ses origines, sa conscience, ses bannissements, habitent le parcours du cinéaste, élevé à Alger par une mère gitane et un père Kabyle.

Ange est né d’un énorme désir de vie, d’émotions fortes et de larmes. Nous sortions de l’époque du Covid et il fallait que mon nouveau film soit le contraire du monde dans lequel j’étais en train de vivre. Gatlif exprime ainsi la gestation de cette chronique picaresque, où des musiciens et musiciennes se substituent aux panneaux indicateurs.

Donc, au volant de son fourgon aménagé en camping-car, Ange (Arthur H) trace les voies d’Occitanie. En chemin, le conducteur écoute, dissèque, des musiques gravées sur des bandes, des cassettes ou des microsillons. Car le nomade à la canadienne élimée, se proclame musicologue qui, à l’instar de l’auteur, tente de cerner les vécus et les âmes tapis derrière les harmonies.

Le film tient d’une course au trésor truffée d’enveloppes, reliquats d’un passé de voleur de poules ; et du pèlerinage auprès d’êtres chers puis perdus de vue. Parcimonieux sur les grands écrans, Maria de Medeiros, Christine Citti, Dominique Collignon-Maurin donnent chair à ce jeu de l’oie proustien.

À l’évidence Gatlif a mis beaucoup de lui-même dans ce vagabond érudit, qui trimarde son monde intérieur à travers des extérieurs rocailleux, parsemés de gîtes où veillent des rêveurs fatalistes, des dames indulgentes ou des jeunettes impétueuses. À ce titre, sur les brisées de Rona Hartner (Gadjo Dilo 1997, Je suis né d’une cigogne 1998), Daphné Patakia (Djam 2017), Suzanne Aubert, découverte en 2021 dans Tom Medina, insuffle un tonus impertinent à l’échappée nostalgique.

Et, bien sûr, règne la musique : mélopées orientales, swing manouche, feulements flamenco.., auxquels se greffe la vocalchimie, dans laquelle André Minvielle malaxe scat, slam et répertoire traditionnel.

En guise de scénario, Gatlif aligne les tableaux, contemple un paysage, s’attarde sur un visage, capte une virgule lunaire (l’étonnante impro dans l’eau exécutée par Arthur H). Tout ceci est très délié, délibérément autocentré. Mais l’on s’embarque volontiers dans cette virée erratique, aux allures de glossaire ou de best of , concoctés par un septuagénaire, thuriféraire à tout jamais des rebelles iconoclastes, férus de musiques empreintes de voyages, d'exils et de reconnaissances.

Photographies : Les Films du Losange.

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