Des images qui aident à vivre

Actualité du 18/01/2025

 

Est-ce un accès nostalgique, une appétit de bilan ou l’urgence de colmater une faille d’inspiration ? Toujours est-il que l’introspection cinéphile constitue le passage obligé de bon nombre de cinéastes.

L’exercice adopte des formes multiples : inventaire encyclopédique chez Martin Scorsese (Un voyage à travers le cinéma américain 1995) ou Bertrand Tavernier (Voyage à travers le cinéma français 2016) ; anatomie d’une salle obscure effectuée par Sam Mendès (Empire of light 2022) ou Kleber Mendoça Filho (Portraits fantômes 2023). S’y décèlent encore la révélation du pouvoir des images chez Steven Spielberg (The Fabelsman 2022), le collage mémoriel, du côté de Jean-Luc Godard et ses Histoire(s) de cinéma (1998) ; ou Jia Zhangke qui dans les Feux sauvages, actuellement sur les écrans, assemble des chutes précieusement conservées.

Spectateurs ! puise sa genèse dans une commande passée à Arnaud Despleschin, en vue d’un documentaire sur Stanley Cavell (1926-2018), philosophe américain, pour lequel le cinéma fut un inépuisable territoire de réflexion. Peu stimulé par le projet, le réalisateur proposa d’honorer cet érudit cinéphile au fil d’un vagabondage parmi le peuple des regardants.

De prime abord, le résultat se distingue par sa brièveté (88 minutes) et la profusion des formes et des perspectives. Le film s’amorce par l’analyse d’une toile de William Bougereau (1825-1905) puis de Jules Adler (1865-1952), où, de l’arrière fond au premier plan, se dessine la syntaxe du 7ème Art.

Après la peinture vint la photographie qui imprima le temps puis le cinéma qui restitua le mouvement. L’introduction savante amorce un périple erratique qui malaxe repères historiques, dissections analytiques, souvenirs formulés ou reconstitués et, bien sûr, extraits de films.

Dense, morcelé et néanmoins chapitré, le parcours élégiaque s’assimile à un puzzle mémoriel, parfois abscons, si l’on ne connaît pas l’œuvre de Cavell ; mais la plupart du temps, fructueux et attachant.

 

En chemin, Desplechin tranche l’inusable polémique sur les origines du médium. A l’américain Thomas Edison le tirage des films, la conception du kinétoscope précurseur d'une solitude voyeuriste. Aux frères Lumière, la projection sur grand écran génératrice d’émotion collective. Aux Lumière l’invention du cinéma.

Plus tard, sous la crinière de Micha Lescot, Pascal Kané, critique-réalisateur, dresse un parallèle entre une proposition théâtrale soumise au regard de chaque spectateurs ; et le cinéma où le public se confronte au seul point de vue du réalisateur.

Ces entrées théoriques et historiques, bénéficient d’illustrations révélatrices d’un goût décomplexé qui amalgame Cris et chuchotements (Ingmar Bergman 1972) à Piège de cristal (John McTiernan 1988), Mouchette (Robert Bresson 1967) à Coup de foudre à Notting Hill (Roger Mitchell 1999).. .

Réapparaît encore Paul Dédalus, alter égo de Despléchin. L’écolier éberlué, le lycéen courtois, l’étudiant cinéphage, apprécieront, tour à tour, la magie du grand écran, l’alcôve d’une salle obscure (ou d’une cabine de projection), la culture d’une passion derrière laquelle se calfeutre une irréductible timidité.

Le film se termine par un hommage à Claude Lanzmann (1925-2018), auteur de Shoah (1985). Par le biais de cette cathédrale documentaire, traitant du génocide juif par les nazis, s’articule une défense-illustration la diégèse qui raconte les choses à l’insu de la mimèsis qui s’attache à les montrer. Mais par le regard du cinéaste, subsiste l’impact du Cinéma.

Cinéma is emotion!, tranchait Samuel Fuller (1912-1997) dans Pierrot le fou (Jean-Luc Godard 1965), avec Spectateurs !, Arnaud Desplechin, compile un dictionnaire amoureux, assemble un patchwork proustien, cisèle une élégie ouatée, en harmonie avec son soucis de mémoire, historique (La Sentinelle 1992),  intime (Trois souvenirs de ma jeunesse 2015). Sa mosaïque nous murmure que, pour chacune et chacun, les films regorgent d’images qui aident à vivre. Voilà, sans aucun doute, la plus belle définition de l’Art du Cinéma.

Photographies : Les Films du losange

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