La justice et le Mal

Actualité du 20/01/2025

 

Auteur d’une dizaine de films, tournés en Thaïlande, en France, à Los Angeles et dans sa Belgique natale, Fabrice Du Welz, cultive une dilection tenace pour les esprits déviants et les épisodes exacerbés.

Il était inévitable que cette propension l’amène à se pencher sur l’affaire Dutroux, dont les exactions pédophiles et leurs ondes de choc, bouleversèrent, dans les années 90, les communautés de sa terre natale.

Le Dossier Maldoror place le fait d’actualité au prisme d’un genre cinématographique constellé de titres mémorables, signés par de solides cinéastes : Jonathan Demme (Le Silence des agneaux-1991), David Fincher (Seven-1995, Zodiac 2007), Denis Villeneuve (Prisoners-2013), Dominik Moll (La Nuit du 12-2022). Dès les séquences d’ouverture, ce dernier titre apparaît comme l’influence première du projet.

A l’aube des années 90, la disparition de deux fillettes aux alentour de Charleroi, attise le zèle de Paul Chartier (Anthony Bajon). Aussi sagace qu’impulsif, doté d’une mémoire photographique, le jeune gendarme se lance à corps perdu dans l’affaire. Étendue sur plusieurs mois, canalisée par un supérieur attentif et retors (Laurent Lucas), accompagnée par un coéquipier raboteux (Alexis Manenti), l’enquête prend la dimension d’une quête obsessionnelle, doublé d’une intime catharsis.

De son propre aveu, Fabrice Du Welz pose un regard dialectique sur la justice et le Mal. Les péripéties mettent en lumière les rivalités entre la polices communale, la police judiciaire et la gendarmerie nationale, une guerre des services avérée, à l’origine des piétinements de l’enquête. Plus spéculatives demeurent les influences de personnalités haut-placées, impliquées dans les réseaux tissés par le criminel.

Pour la représentation des monstres, le réalisateur convoque ses acteurs fétiches : Jackie Berroyer pervers emperruqué, Laurent Lucas commissaire au faciès défoncé, David Murgia esclave junkie. Peuplé de gueules échappées d’un film de Jean-Pierre Mocky (1929-2019), le cauchemar biscornu atteint une envergure particulière par la prestation de Sergi Lopez.

Dans le sillage du pote psychopathe, alias Harry, un ami qui vous veut du bien (Dominik Moll 2000), de l’officier franquiste du Labyrinthe de Pan (Guillermo del Toro 2006), l’acteur habite Marcel Dedieu, sociopathe mutique et crasseux, en rupture avec les postures magnétiques du Hannibal Lecter composé par Anthony Hopkins.

Interdite, bestiale, la prestation renvoie à l’humanité régressive qui hante Massacre à la tronçonneuse (1974), chef-d’œuvre de Tobe Hopper (1973 2017) dont Du Welz reste un indéfectible épigone. Dedieu (patronyme révélateur) devient le stigmate dégénéré d’une population déclassées, abandonnée dans des friches industrielles, vestiges fantomatiques d’une région autrefois prospère.

Sans renier ses influences, Fabrice Du Welz dépasse, enfin, l’exercice d’adoration. Son nouvel opus renouvelle un genre et concasse les paraboles sociales chères aux Frères Dardenne dans un polar traversé de morceaux de bravoure : les noces de Chartier, la séquence du guichet.. . Touffu, iconoclaste, malaisant, admirablement interprété, Le Dossier Maldoror s’impose comme une référence du thriller politique.

Photographies : Jokers Films.

 

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