Splendeur de la tragédie

Actualité du 15/05/2025

 

Réalisateur, dramaturge, directeur de théâtre, Lotfi Achour connut, en 1998, les honneurs du Festival d’Avignon avec L’Angélie, conte dramatique où l’enfance s'amalgame au deuil, à travers les phrases de Natacha de Pontcharra. Les mêmes thèmes irriguent Les Enfants rouges, son second long-métrage, sur un scénario de la même Natacha de Pontcharra.

En 2015, dans la montagne Mghila, zone frontalière entre la Tunisie et l’Algérie, un jeune berger fut décapité par des terroristes de Daech. Son cousin qui l’accompagnait, fut épargné afin de ramener sa tête à sa famille. L’acte barbare et son traitement médiatique provoquèrent émois et polémiques au sein de la société tunisienne.

Les Enfants rouges s’empare de l’épisode macabre qu’il restitue à travers le regard de Achfar (Hali Helali). Celui-ci suit Nizar, son cousin (Yassine Samouni), attiré par les hauteurs qui surplombent des étendues majestueuses. Après la rencontre et le crime, le gamin revient avec son abominable fardeau. Sous l’injonction des hommes du hameau, il effectue à nouveau le trajet mortifère, afin de guider le groupe chargé de récupérer le corps de la victime.

Quand on dit c’est un "homme rouge", une "femme rouge" ou un "garçon rouge", cela signifie que c’est quelqu’un de courageux. Être "rouge", c’est être vaillant, résilient, capable de faire face à l’adversité.

Lotfi Achour définit ainsi son jeune héros et justifie le titre de son film, en équilibre entre le récit immersif et le poème paysagiste. Le calvaire vécu par Achfar se double d’une fable d’apprentissage, enraciné dans un magma de traumas, de souvenirs, de culpabilité. Pourtant, du désarroi et de l’affliction émergent quelques éclaircies, symbolisées par les sourires et les piques de la promise de Nizar (Wided Dabebi), que Achfar chérit en secret.

Étrange et contradictoire, cet état où se confrontent la sidération, le chagrin, l’espérance, alimente un assemblage d’images mentales et d’épisodes factuels, servis, dans la tradition néo-réaliste, par des interprètes non-professionnels. Çà et là, s'immisce l’emprise du suspense (le pied sur la mine) ou l'empreinte de l’épouvantable (le réfrigérateur).

À l’origine de l’équipée funeste entreprise par les cousins, la nature et ses splendeurs, imprègnent le regard de Lotfi Achour. Le réalisateur compose des panoramas grandioses traversés par des humains, réduits le plus souvent, à de silhouettes minuscules.

Par ses racines tragiques, ses élans animistes et son inspiration visuelle, Les Enfants rouges pétrifie, indigne, autant qu’il édifie. L’ambitieuse concoction agit jusqu’à la séquence finale, où une échappée s’esquisse, un sourire se fige, une page se tourne, un peut-être se dissout...  Un mince filet d’espoir dans une insondable tristesse.

Photographies : Nour Films.

La séance du vendredi 16 mai, 20H15, au Cinéma Utopia Avignon, sera suivie d'une rencontre avec Anissa Daoud,  productrice du film.

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