De l'acrimonie comme une philosophie

Publié en 1985, Maîtres anciens est un roman sans chapitre, ni paragraphe. Le narrateur y relate ses observations et conversations avec un certain Reger. Tous les deux jours, ce dernier, par ailleurs critique musical au Times, se rend au Musée d’art ancien de Vienne, plus précisément dans la salle Bordone, où il s’assied face à L’Homme à la barbe blanche de Tintoret.

Les dialogues avec Reger se résument à des soliloques, au cours desquels l’érudit agonise tout ce effleure son regard et affleure sa pensée. Les touristes, les musiciens, l' Etat, l’Autriche, les autrichiens, les toilettes autrichiennes, les philosophes (Martin Heidegger est habillé pour l’hiver), sont, tour à tour, objet d’un pilonnage intensif.

Orfèvre de la scansion et du ressassement, Thomas Bernhard (1931-1989), déroule un précipité d’aversions, à la fois méthodique, intense, brillant par dessus tout. Car chez l’écrivain qui, dans ses discours de remerciements, n’avait de cesse d’insulter ceux qui l’avaient récompensé, la détestation s'assimile à un art de vivre.

Enveloppé d’une musique discrète et classique, tel un Impérator à la voix de stentor mais aux chevilles d'argile, François Clavier donne corps à cet atrabilaire qui s’est faufilé dans l’art pour échapper à la vie. Et c’est, sans doute, pour éluder la solitude, le désespoir, que Reger déverse ses stigmatisations aussi virulentes que spirituelles. L’acteur module les pics et les pauses, il donne à deviner, l’adoration, les passions, les failles, la détresse, tapies derrière la haine du kitch et les accès d’exécration.

Dommage que l’adaptation taille dans certaines tirades, notamment le portrait d’Heidegger dont l’acrimonie n’a d’égale que le panache.

Haïr pour ne pas mourir, tel pourrait-être le sous-titre de Maîtres anciens. Précisons toutefois que la représentation à laquelle nous fumes conviés fut exécrable. Ce qui, traduit du Reger, signifie que l’on a passé un bon moment.

Maîtres anciens : Artéphile Théâtre, jusqu'au 26 juillet, 18H20.

Photographies: Théâtre de la vallée.

 

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