Dies irae

 

Invitée à sept reprises depuis 2010, Angelica Liddell traverse les gouvernances (et les partitions) du Festival d’Avignon. De Maudit soit l'homme qui se confie en l'homme (2011), où les films de Carlos Saura s’imbriquaient dans un abécédaire tout droit sorti d’une extravagance de Peter Greenaway, jusqu’à Libestod (2021), jalonné de références à L'Odyssée de l’espace façon Stanley Kubrick, la performeuse sous-tend ses propositions d’une solide cinéphilie.

Le tropisme atteint l’évidence tout au long de Dämon, où, flanquée de sa compagnie, des acteurs du Dramaten–The Royal Dramatic Theatre de Suède et de non-professionnels, l’artiste convoque la figure du maître cinéaste Ingmar Bergman (1918-2007).

Pour l’occasion, l’artiste part à l’assaut de la Cour d’honneur du Palais des Papes. L’espace devient une page écarlate sur laquelle s’érige un tombeau du maître suédois. Vêtue d’un vague peignoir, Angélica pratique ses ablutions, baptise la muraille de ses eaux usées puis rabroue un poignée de critiques, confortablement drapés dans leur impunité.

Elle laboure ensuite le plateau de ses gémonies furieuses. Angélica grogne, rugit, s’effondre, se dresse, gémit, invective.. . Isolée sous le cosmos, Angelica admoneste le temple sulpicien, exhume les martyrs des folies inquisitrices, les sacrifiés aux fausses componctions. Sur les bénédictions d’un pontife sénile, la bacchante déverse son torrent d’imprécations.

Dans la seconde partie s’organise des funérailles, telles qu’elle furent, peu avant son trépas, certifiées par Bergman.

La beauté sublime des répliques d'August Strindberg, les harmonies célestes de Jean-Sébastien Bach s’écrasent sous les sirènes et les bombardements. Les références affluent : la chambre vermillon de Cris et Chuchotements (Ingmar Bergman 1972), les souillures infâmes de Carrie (Brian de Palma 1976), les poses insupportables de Salo, les 120 journées de Sodome (Pier Paolo Pasolini 1975), la solennité déviante en lice sur la Montagne sacrée (Alejandro Jodorowski 1973).

Certes, il y a des longueurs, des répétitions, et l’on patauge un peu trop dans les miasmes et autres liquides corporels. Bien sur, Angélica cogne dur et parfois de manière arbitraire, contre les prêcheurs, les censeurs, les penseurs érigés en arbitre des élégances, rectifiés commissaires politiques.

Mais au moment où les démocraties électives et les libertés humanistes frôlent les pires dangers, se laisser emporter par ce flot de colère, ce maelstrom de douleurs et cette damnée fureur de vivre, provoque une irrépressible alacrité.

Dans Damon, une boule de rage salue un démiurge mal aimable. Angelica Liddell (et ses démons) domptent la Cour d’honneur et foudroie toutes les démagogies. C’est parfois éprouvant, tantôt languissant mais ça bouscule et ça régénère.

Au bout du bout, Angelica invite les connards à son prochain spectacle. Le rendez-vous est bien noté.

Dämon : jusqu'au 5 juillet, 22H, Cour d'honneur du Palais des papes.

Réservations :  https://festival-avignon.com/fr/edition-2024/programmation/damon-348384

Photographies : Christophe Raynaud de Lage.

 

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