C’est un évènement ! Pile poil à l’heure (21H ou 23h59) résonnent les premières paroles et sonnent les premiers accords, comme ce fut le cas lors du Festival d’Avignon 1976 où fut créé Einstein on the Beach. En ces temps anciens, les spectateurs du Théâtre municipal rejoignaient leur siège, au rythme de l’ouverture de l’opéra composé par Philip Glass, mis en scène par Robert Wilson, sur une chorégraphie d’Andy De Groat (1947-2019).
Cette précision helvétique coule de source puisque Avignon, une école est animé par les étudiants de La Manufacture-Haute École des arts de la scène de Lausanne.
Découverte en 2017 avec Les Grands, texte de Pierre Alferi dans lequel des quadragénaires traversent le miroir de leur adolescence, Fanny de Chaillé revient dans la Cité des Papes avec un nouveau périple dans la mémoire.
De 1947 à 2024, de Jean Vilar à Tiago Rodrigues, en 115 minutes défilent 76 années du Festival d’été.
Comment mettre au plateau une archive, sa représentation, sa portée historique, son impact sentimental ?
La metteure en scène et ses quinze interprètes relèvent la gageure au fil de cette épopée conforme aux fondamentaux vilariens : un lieu, un texte, des acteurs.
Peu pourvues en documents filmés, les premières heures revivent à travers de (savoureuses) imitations : voix traînante d’Alain Cuny, timbre rauque de Maria Casarès, en alternance avec des tableaux vivants, reconstitution de photographies de spectacles iconiques.
La route est bordée de repères attendus : Maurice Béjart et l’inévitable Psyché Rock de Pierre Henry, les incantations du Living Théâtre, l'anéantissement puis les gambades d’Isabelle Huppert au sortir de Médée dans la Cour d’honneur, les rituels déviants ordonnés par Angelica Liddell ou Rodrigo Garcia.
La qualité de la restitution se greffe sur le glissement des contextes. La curiosité des origines, exacerbée par les années de guerre, prolongée par les consolantes trente glorieuses, cède du terrain aux revendications, crises et polémiques, qui s'accélèrent depuis les années 2000, absorbées par la globalisation libérale.
Avignon en juillet, ce n’est pas une ville qui a un festival mais c’est un festival qui s’empare d’une ville.
Fanny de Chaillé et sa troupe certifient l'adage vilarien. Entre les deux platanes du cloître des Célestins, se bombe la bulle estivale striée des clivages endémiques entre autochtones et parisiens ; se dessine ce microcosme enchanté où, d'élans en postures, chacun galvanise sa ferveur ou assène ses indignations. Avignon en juillet, suscite encore, son lot de rencontres, de promesses, d'aventures, d'histoires ou de rendez-vous manqués. Dans les salles, les coulisses, les rues, les alcôves, Avignon, une école distille une nostalgie rieuse, une mélancolie éclairée.
De la déclamation académique aux prestations performative, de Phil Glass à Rébecca Chaillon, les filles et les garçons de La Manufacture dansent, chantent, profèrent comme des chevronnés. En chœur, s’épanouit un gai savoir, entrecoupé d’une poignée de prédictions.
Car, aussi bons que les belges, les helvètes frappent à la porte du Parthénon des arts de la scène. Qu’on se le dise : avec Avignon, une école, le grand remplacement suisse est en marche.
Cloître des Célestins : 21H et 23H59, jusqu'au 12 juillet.
Réservations : https://festival-avignon.com/fr/edition-2024/programmation/avignon-une-ecole-348556
Photographies : Christophe Raynaud de Lage.