Try A Little Tenderness

 

Après Iphigénie, créée lors du Festival d’Avignon 2022 dans une mise en scène de Anne Théron, Tiago Rodrigues revient à Euripide. Agamemnon est de nouveau de la partie. Dans Hécube, pas Hécube, le roi des grecs doit statuer sur la requête d’Hécube. La reine de Troie demande réparation du meurtre de son dernier fils.

L’approche du dramaturge slalome entre représentation et making of. Des extraits de la pièce s’intercalent dans des lectures à la table. Au centre du zigzag, Nadia, tient le rôle titre. Entre les répétitions, l’actrice répond aux convocations, afin que justice soit rendue à Otis, son fils autiste, victime de maltraitances au sein d'un foyer spécialisé.

Comment jouer une tragédie lorsqu’on traverse une tragédie ?

Six années après Sopro (Festival d’Avignon 2018), excursion dans la mémoire et les coulisses d’un théâtre, Tiago Rodrigues examine la psyché d’une interprète. L’acharnement de la souveraine alimente la détermination de la mère. La rage de l’une imprègne l’indignation de l’autre.

Hécube, pas Hécube se segmente en deux parties. La première organise un va-et-vient virtuose entre métier à l’œuvre et procédures en cours. La seconde se concentre sur l’enquête menée auprès du directeur et des soignants de la maison d’accueil où résidait Otis.

Les sévices perpétrés sont-ils le fait de l’épuisement du personnel ? Les traitements indignes sont-ils prodigués par des individus qui profitent d’un contexte délétère pour épancher leurs bas instinct ? Quid des réactions de l’institution ?

Hécube, pas Hécube, embrasse ainsi légende et vérisme, mythes et politique. L’ambitieux projet est mené de main de maître. Admirablement mise en lumière, la falaise de Boulbon figure les ressassements d’une femme confrontée à une montagne d’adversités. Elsa Lepoivre est une Hécube impériale, Denis Podalydès un procureur souverain et éclairé, lointain descendant du Commissaire Maigret, qui troque le demi de bière pour des cafés savamment filtrés.

Loïc Corbery dote le traite Polymestor, d’un cynisme de jeune premier. Lors des interrogatoires, les partenaires du Français (Eric Genovese, Gaël Kamilindi, Elissa Alioula, Séphora Pondi) exécutent chacun, leur scène dédiée. Enfin,  pour les égarés, un chœur antique balise les sinuosités de la narration.

Brillant et malin, l’auteur prend des distances avec son propre texte : qu’est qu’on fabrique dans cette carrière ? Pourquoi cette statue de chien au milieu de l’espace ? Euripide méritait mieux. Otis, autiste.., pape du Rythm’n Soul, Otis Redding (1941-1967) accompagne le placement des spectateurs. Plus tard Elsa, Denis, Loïc et leurs camarades, partagent une chorégraphie sur le monumental Try A Little Tenderness.  Une pure gourmandise.

C’est beau, intelligent, façonné à la perfection. Manquent juste au spectacle, les flaques, les anfractuosités le long du sentier, les petits cailloux qui se glissent dans les sandales et la poussière, les soirs de Mistral, qui titillent le plaisir confortable des spectateurs en lice dans la représentation.

Carrière Boulbon : 22H, jusqu'au 18 juillet. Relâche le 10.

Réservations : https://festival-avignon.com/fr/edition-2024/programmation/hecube-pas-hecube-348428

Photographies : Christophe Raynaud de Lage.

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