L’indicible l’innommable l’impensable

 

Nicolas Lambert pratiquait le documentaire bien avant que la recension du réel ne constitue une tendance lourde (pesante?) du spectacle vivant.

Elf, la pompe Afrique (2004), Avenir radieux, une fission française (2011), Le Maniement des larmes (2015) composent L’A-démocratie, triptyque d’investigation autour ses intérêts politico-industriels nationaux, à la manœuvre dans les secteurs pétroliers, nucléaires et le commerce des armes.

Lambert-le retour ! La France empire s’amorce par les tracas d’un père, confronté au devoir d’histoire que lui soumet sa collégienne de fille.

Doit-on écrire seconde ou deuxième guerre mondiale ?

Deuxième induit que l'énumération peut aller au-delà, seconde stipule que l'énumération s'arrête là.

La nuance entraîne une question, des recherches pour une conclusion : De part chez nous, l’Après guerre c’est des guerres.

Seul au plateau, avec une toute petite poignée d’accessoires et une inclination (bienvenue) à l’imitation, Lambert baguenaude dans ses souvenirs de jeunesse (son grand-père, sa boutanche et son bagout), ses réminiscences scolaires (un prof de lettres attaché aux mots, activateur de curiosité).

Puis il commence à fureter, à comprendre ce qui justifie le nom d’un boulevard ou l’érection d’une statue : Hubert Lyautey (1854-1934), général chargé de la pacification du Maroc, son homologue le populaire Thomas Robert Bugeaud (1784-1839), qui, dès 1986, réprima une première insurrection algérienne. Mais au fait, doit-on parler des évènements ou de guerre d’Algérie ?

Ce va-et-vient permanent entre dissections historiennes, madeleines proustiennes et éléments de langage, débouche sur le déploiement de la longue liste (papier) des interventions extérieures françaises depuis 1945.

Comme son titre l’indique La France empire, détricote le mauvais usage de la colonisation, appréhendée, non comme un dialogue mais comme une endémique exploitation. Le chapitre consacré aux récents conflits dans l’archipel des Comores en apporte la brulante et consternante illustration.

Ce qui ne se dit pas, ne se nomme pas, ne se pense pas.

Lambert lui, dit, nomme, analyse, commente, dialectise. Le bonhomme s’amuse de temps en temps et s’insurge régulièrement.

En cette période tourmentée où les discours et l’information se dissolvent dans les formules, les commentaires, les anathèmes.., la fréquentation de Nicolas Lambert, entomologiste des faits, légiste du langage, relève de l’hygiène intellectuelle et de la salubrité publique.

Le 11 Théâtre : 10H, jusqu’au 21 juillet. Relâche le lundi.

Réservations : https://www.11avignon.com/

Photographies : Pauline le Goff.

 

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