1984 à Varsovie en 83

Actualité du 15/05/2022

Zeby nie bylo sladow (Ne laissez pas de traces), Jurek (Tomasz Zietek) entend cette intimation alors que son camarade Grzegorz (Mateusz Gorski) est roué de coups par des hommes de la Milice d’Etat. Trois jours plus tard Grzegorz décède à l’hôpital, le ventre broyé, Comme si un camion avait roulé sur lui à deux reprises, précise le médecin à Barbara, sa mère (Sandra Korzeniak).

Zeby nie bylo sladow est le titre original de Varsovie 83, une affaire d’État. Le film débute 3 ans après la grève du chantier naval de Gdansk et la naissance du syndicat Solidarnosc. Depuis les revendications ont été satisfaites, la loi martiale abrogée mais, impassible derrière ses lunettes noires, le général Jarulzelski a pris les rênes de la Pologne.

Douce et printanière, la journée de Grzegorz et Jurek vire au cauchemar après une simple demande de carte d’identité. Suite aux obsèques du bachelier suivies par des dizaines de milliers de personnes, les autorités perçoivent les prémices d’un scandale et entreprennent d’effacer la bavure. Mais Jurek maintient son témoignage.

Jan P. Matuszynski adapte Leave no trace, the case of Grzegorz Przemyk, roman écrit par Cezary Lazarewicz, journaliste d’investigation. Rien d’étonnant donc, à ce que son film adopte la précision laconique du compte rendu. Séquence décisive, tournée en plan séquence, le tabassage du jeune homme est perçu de l’angle occupé par son camarade, qui ne voit rien mais entend tout. Après le décès de l’adolescent, les points de vue se multiplient selon une arborescence qui s’étend des hautes sphères jusqu’aux noyaux intimes.

On fouille, on remonte, on soulève les tapis. Puis l’on confond, l’on admoneste. Enfin on suggère, on négocie… . Cet arsenal manipulatoire, renvoie bien sur à 1984, à ceci près que la chronologie est inversée. La brutalité physique déclinée dans la seconde partie de la dystopie imaginée (à peine) par Georges Orwell, cède ici la place à des exactions furtives qui détectent puis exploitent les failles, les faiblesses les plus enfouies.

L’adversité révèle les vraies natures. L’adage se certifie tout au long des 159 minutes de ce film fleuve qui emporte à perdre haleine et renvoie dos à dos le cynisme tactique des dominants et l'éthique glaciale des exécutants. Au delà du contexte daté, il va sans dire que les montées nationalistes, les nostalgies soviétiques du moment, parent Varsovie 83, une affaire d’État d’une contemporanéité qui réveille les mémoires et affute les vigilances.

Elève d’Andrzej Wajda, diplômé de l’école de Katowice (rebaptisée École Krzysztof Kieslowski), proche de Krzysztof Zanussi, Jan P. Matuszynski s’inscrit dans le sillon de ses glorieux aînés qui, dans les années 60-80, hissèrent le cinéma polonais au firmament du 7ème Art.

Mise à jour d'un classique de l'injustice, Varsovie 83, une affaire d’État est un futur classique du film dossier.

Source: interview de Jan P. Matuszynski dans la revue Positif N°735, mai 2022.

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