A la recherche du détective

Actualité du 18/08/2023

Quelque part en France, un détective (José Coronado) frappe à la porte du Château Triste-le-Roy. Sentant sa mort prochaine, le maître des lieux le charge de retrouver Judith, sa fille installée à Shanghai depuis son enfance. Fin de la première bobine…, du Regard de l’adieu, film tourné par Miguel Garay (Manolo Solo) au début des années 70 et resté inachevé, suite à la mystérieuse évaporation de Julio Arenas-le détective, son interprète principal.

Retour de nos jours, Garay, qui a coupé les ponts avec le métier, se rend au rendez vous fixé par la productrice de Mystères non résolus, programme phare de la télévision ibérique. Au terme la conversation, il accepte d’apporter son aide dans la recherche de Julio, qui fut l’un des ses proches amis.

Tel est le point de départ de Fermer les yeux, le nouveau film de Victor Erice. 83 ans et seulement 4 titres dans sa filmographie, L’ermite-cinéaste place beaucoup de lui même dans cet ex-réalisateur, reconverti dans l’écriture romanesque, puis dans la pêche et la traduction d’ouvrages français (sic) traitant de cinéma. A l’instar de Garay, Erice fut empêché de mener à bien le tournage de Sud (1983), son second opus mutilé par un producteur de l’époque. Il s’effacera de la vie publique jusqu’en 1992 et Le Songe de la lumière, réalisé en collaboration avec le peintre Antonio Lopez Garcia. Puis plus rien au cinéma pendant près de trente ans.

Pour satisfaire une chaîne de télévision, Garay se rend dans un garde meuble-caverne d’Ali Baba. D’une malle-boîte de Pandore, il extirpe un carnet, quelques photographies, il s’enroule encore dans un manteau, celui du limier du Regard de l’adieu. Ainsi attifé, il part à la rencontre de témoins, d’ex-proches, de survivants, tel son chef monteur qui végète depuis des lustres, au milieu des rayonnages de pellicules argentiques. Lors des retrouvailles avec son ex-épouse (Soledad Villamil), une rivalité voile l’amitié entre Garay et Julio. Il retrouve Ana, la fille de Julio. Celle-ci est interprétée par Ana Torrent qui, un demi-siècle plus tard, conserve le regard mystérieux et troublant de la fillette, héroïne de L’Esprit de la ruche (1973), premier opus d’Erice.

 

Fermer les yeux s’apparente à une traversée mémorielle, à travers des souvenances, tantôt vaguelettes anecdotiques, parfois lames de fond qui submergent des digues toujours fragiles, en dépit des années.

A travers cette quête, Erice dresse le bilan d’une existence de cinéaste et de cinéphile, soulignant les interférences entre l’art et la vie, le désir et l’inspiration, Son film devient un voyage dans un esprit, imprégné à tout jamais par les éblouissements du cinéma.

Depuis qu'il a dépassé les cent ans, le cinéma n’aura plus jamais l’âge d’homme. Alors qu’il se présente comme un art jeune, nous assistons à son vieillissement prématuré, plus rapide que pour la littérature, la peinture ou la musique parce qu’il est issu de l’ère technique.

Victore Erice justifie ainsi son quatrième film, sans doute un testament qui scelle le crépuscule d’une pratique, d’un savoir-fimer. L’acrimonie, néanmoins, n’a pas droit de cité, tout au long de cette élégie, éclairée par un humanisme discret que l’on croise chez la productrice attentive en début de film ou auprès des bonnes sœurs complices, à la fin du récit. Et que dire de My Rifle, my Pony and Me, immortalisé par Dean Martin dans Rio Bravo (1959) et chantonné ici sous l’auvent d’une caravane.

A la toute fin, lorsqu’il baisse les paupières, Julio a-t-il retrouvé la mémoire ? Ou ne l’a-t-il jamais perdue ? Le mystère reste entier. Mais en dépit de son titre, Fermer les yeux certifie que le cinéma produit des images qui aident à vivre.

Citations extraites de l'interview de Victor Erice/ Le Monde 16 aout.

Photographie : Manolo Pavon.

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