Dans Paris à vélo

Actualité du 16/10/2024

 

La sonnerie d’alarme sonne tôt sur le smartphone de Souleymane (Abou Sangare). Dès l’aube, il est impératif de s’assurer un dortoir pour le soir. La douche, un thé avalé dans une timbale et la journée commence. Dans Sorry we missed you (2018), Ken Loach détaille le quotidien chronométré d’un chauffeur-livreur dans le Nord de l’Angleterre. De ce côté du Channel, Boris Lojkine s’attache à un coolie-Deliveroo au cœur de Paris.

Un œil sur Google Map, un autre sur la chaussée, Souleymane passe d’une piste cyclable à une voie de bus, ignore les feux rouge, esquive les quatre roues. Entre deux courses, il passe réclamer son du à celui qui, moyennant une commission de 30 %, lui sous-loue sa licence. A la table d’un café ou dans une rame métropolitaine, il supplie et calme l’impatience d’un créancier, coach spécialisé dans les entretiens avec les agents de l’Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides. Tard dans la soirée, le vélo vaguement cadenassé, il se précipite dans le métro, puis le RER afin d’attraper le bus qui le conduit vers l’asile de nuit.

De l’idylle entre Léonard le camerounais et Hope la nigériane (Hope 2014), à la correspondante de guerre, happée par un conflit en République Centrafricaine (Camille 2019), Boris Lojkine confirme sa passion pour les migrations en général et les rapports à l’Afrique en particulier.

L’Histoire de Souleymane colle aux basques de ce guinéen, acculé aux déplacements, astreints aux expédients. La tête dans le guidon, ce film en action documente la condition des demandeurs d’asile. Le racisme imbécile d’une cliente ou d’un restaurateur, les taquineries des flics en faction, un peu cons (dixit Lojkine) mais bienveillants, la négociation pour un lit, l’expresso ou la sucrerie offerts dans un sourire complice.., un monde, un modus vivendi, prennent vie à force de détails. Montrer, juste montrer, Boris Lojkine dresse l’état des lieux d’un système de castes où les clandestins sont à la merci des réguliers, ceux qui ont des papiers.

L’Histoire de Souleymane est un film à la fois épuré par ses partis pris et virtuose par sa réalisation. En témoignent ces courses vertigineuses qui placent le spectateur à la merci des klaxons, des feux rouges et des chaussées glissantes. Pourtant, lors du climax d’un récit étalé sur deux journées, Souleymane reste immobile face l’employée de l’Ofpra.

S’installe alors une plage de silence, s’étale une nappe d’émotions. Car, à ce moment, par conscience professionnelle ou par compassion, son interlocutrice (Nina Meurisse) lui laisse du temps. Du temps pour prendre ses distance vis à vis d'un quotidien à la seconde près. Du temps pour mesurer le servage promis à un clandestin économique. Du temps pour évaluer l’inanité d’un discours appris par cœur mais sans une once de ressenti. A cet instant, Souleymane découvre qu’il bénéficie d'une latitude pour réfléchir, qu'il dispose d'un espace pour penser.

Porté par le charisme de son interprète, propulsé par une réalisation minutieuse et tendue jusqu’à l’étourdissant, L’Histoire de Souleymane apporte une contribution édifiante aux innombrables débats suscités par les questions migratoires.

A Paris à vélo, on dépasse les taxis. A Paris à vélo, on dépasse les autos.

Signe des temps : un abîme sépare la rengaine espiègle chantée, à l’orée des années 70, par Joe Dassin et la survie contre la montre de Souley, l’Uber illicite, à la vue de tous.

Photographies : Trigon Films

 

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