A Whiter Shade of Pale

Actualité du 31/05/2024

We skipped the light Fandango
Turned cartwheels 'cross the floor

De toute évidence, Sylvia (Jessica Chastain) n’a aucune envie de danser le Fandango, ni d’effectuer des pirouettes sur la piste. Et lorsqu’un bonhomme hirsute (Peter Sarsgaard) se tanque à sa table, elle s’enfuit de la soirée d’anciens élèves qu'elle fréquente à reculons. Pistée jusqu'au logis, c’est dans le soulagement qu’elle actionne les verrous et serrures qui tapissent la porte de son appartement. Au petit matin, Jessica s’approche néanmoins du quidam, toujours prostré sur le trottoir. Après une brève enquête, elle découvre que, placé aux bons soins de son frère, Saul est atteint de démence précoce.

La situation interpelle la quadragénaire qui partage ses journées entre le foyer d’adultes handicapés où elle est éducatrice et ses participations aux Alcooliques Anonymes. Mère solo, Jessica élève sa fille : Anna (Brooke Timber) qui la tire souvent du lit, en début de matinée.

Memory est le huitième opus de Michel Franco. Pour son premier film new-yorkais, le cinéaste mexicain remet sur l’écran l’adolescence maltraitée et les familles dysfonctionnelles, auparavant abordées dans Despues de Lucia (2012) et Les Filles d’Avril (2017). Adepte des immersions entomologiques chères à Mikael Haneke : La Pianiste 2001, Caché 2005, Amour 2012.., Franco privilégie à nouveau l’observation à la dramatisation.

Cependant, en cette occurrence, le réalisateur-scénariste tisse une trame qui, au fil des plans séquences, brouille l’appréhension des caractères. A priori victime fracassée, Sylvia s’assimile ensuite à une mythomane puis à une manipulatrice désaxée. Idem pour sa mère, alias Jessica Harper, mythique héroïne de Phantom of Paradise (Brian de Palma 1974) et Suspiria (Dario Argento 1977), qui oscille entre l’aïeule désemparée et la matriarche obnubilée par la respectabilité.

Épaulé par l’engagement de ses interprètes : Jessica Chastain évolue sans maquillage et porte des vêtements qu’elle a elle-même achetés, Michel Franco travaille un vérisme romanesque qui entre en résonance avec l’ère #metoo, mais constitue un contrepoint à la noirceur radicale qui imprègne sa filmographie.

Pour cette rencontre improbable entre un homme déserté par les souvenirs et une femme écrasée sous la souvenance, le réalisateur délaisse le scalpel pour l’empathie. La mise à distance surplombante (voire complaisante) s’estompe derrière une pudique attention. L’état des lieux acrimonieux devient une romance cabossée, restituée avec délicatesse et formidablement incarnée.

She said there is no reason
And the truth is plain to see 

Elle dit qu'il n'y a aucune raison

Et la vérité saute aux yeux  

Méditation sur la mémoire qui s'étiole ou les réminiscences que l'on étouffe, sur les fragments du passé qui contaminent une existence, Memory s’apprécie comme une épure subtile sur l’incertitude des perceptions, même si l'on peut objecter qu'un homme qui, tous les matins écoute A Whiter Shade of Pale dans sa salle de bain, ne peut être foncièrement mauvais.

Photographies : Metropolitan Films.

 

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