Agent compassionnel

Actualité du 27/07/2024

 

Santosh repose sur le regard d’une actrice et le point de vue d’un personnage.

Suite au décès de son époux, mortellement blessé lors des émeutes de Nerhat (cité à majorité musulmane), Santosh (Shahana Goswami) accepte un recrutement compassionnel. Par cette procédure spécifique à la police indienne, la veuve de 28 ans hérite du poste de son époux et conserve au passage l’appartement alloué par l’état.

Engoncée dans son uniforme, la nouvelle recrue décode un monde inédit. Étonnée, interdite, amusée, effarée, la transfuge roule de grands yeux sur ses collègues, fonctionnaires claniques, jamais avares de saillies sexistes ou islamophobes. Son incorporation lui permet, par ailleurs, de tester le prestige de la fonction et profiter tantôt, d’une pratique bien huilée de la corruption.

Mutique, isolée, Shantosh trouve appui et réconfort auprès de Sharma (Sunita Rajwar). Tannée par l'expérience, animée d'intentions ambivalentes, sa supérieure l’initie au jeu régi par le système des castes, où il y a ceux que personne ne veut toucher et ceux que personne n’a le droit de toucher.  La découverte du corps d’une jeune fille jeté au fond d’un puits, conduit les deux investigatrices jusqu’à Nerhat, ville de sinistre mémoire.

Anglaise d’origine indienne, rompue depuis vingt ans au cinéma du réel, Sandhya Suri, signe son premier film de fiction. Santosh puise ses origines dans l’affaire Nirbhaya, viol collectif commis en 2012 dans un bus à Delhi et, plus précisément, de la photo d’une manifestation de protestation, encadrée par des forces de l’ordre, d’où émergeait un seul agent féminin.

 

J’ai tourné cette cette fiction parce qu’il est impossible de réaliser un documentaire sur la police indienne.

Santosh est donc un film policier, pas un thriller tendu mais un suivi d’enquête, propice à l’étude de milieu, sur le modèle de Serpico (1973), Le Prince de New York (1981), Une étrangère parmi nous (1992), trois titres signés Sidney Lumet (1924-2011), pour lequel le fonctionnement de la Police demeure révélateur de l’état d’une société.

L’énigme criminelle se pare d’un œil documentaire. Une texture vériste imprègne la promiscuité poisseuse du commissariat et les descentes nocturnes dans des habitations abandonnées à une misère organique.

Le climax du film relève néanmoins de l’action. En l’occurrence l’interrogatoire d'un suspect, calvaire interminable où chacun et chacune soldent ses préjugés, évacuent ses rancœurs et cèdent à ses instincts.

L’intelligence dramatique résonne avec l’accomplissement visuel, tout au long d’un récit d’émancipation, à la fois chronique intimiste et inventaire politique de la plus grande démocratie du monde, aujourd’hui passablement fracastée.

Santosh se clôt sur un épilogue ferroviaire et stroboscopique. Un effet élémentaire et néanmoins somptueux qui scelle dans les mémoires le charisme interdit d’un être seul, désormais affranchi.

Voilà un concurrent sérieux au titre de polar de l’été.

Photographies : Tahad Ahmad

 

Retour à la liste des articles