Anatomie de la bienséance

Actualité du 19/09/2023

Éloignée des écrans depuis dix ans, Catherine Breillat revient aux affaires avec une commande, adaptation de Queen of Heart, film danois de May el-Thoukhy (2019).

Avocate spécialisée dans les violences sur mineurs, Anne (Léa Drucker) coule une vie confortable, aux côtés de Pierre, son époux (Olivier Rabourdin) et leurs deux petites filles adoptives. A l’orée des grandes vacances, le ménage accueille le jeune Théo (Samuel Kircher). Pierre souhaite renouer avec son fils, issu d’un premier mariage. Mais un contrôle fiscal laisse l’adolescent sous la coupe de son épouse. Prémices d’une attirance ? L’approche est ardue entre le gosse rétif et l’adulte à la ferme autorité. Avant qu’une liaison passionnelle n'embrase Anne et Théo.

L’Été dernier n’est pas sans évoquer Théorème. Réalisé en 1968, le film de Pier Paolo Pasolini s’ouvre sur l’apparition d’un bel inconnu (Terence Stamp) dans l'opulente propriété d’une famille milanaise. Sur place, le Visiteur séduit toute la maisonnée, de la mère au paternel, en passant par les enfants et la servante. La débauche domestique provoque l’explosion du foyer :  déchéance personnelle, extase mystique.. .

Dans L’Eté dernier, la transgression est plus circonscrite. Une fois la faute découverte, la cellule familiale, loin d’exploser, se coagule autour d’une mère déboussolée qui, en l’espace d’un plan, se révèle prédatrice à sang froid.

 

Lors de cette séquence pivot, sidérant précipité de panique et d’âpreté, Léa Drucker s’avère stupéfiante, en parfait contretype de sa figure maternelle dans Jusqu’à la garde (Xavier Legrand-2017). A l'instar de ce dernier, Catherine Breillat, évite le sensationnalisme obscène pour se focaliser sur les visages, tantôt livres ouverts, souvent murailles impénétrables, propices aux abîmes d’incertitudes. Mais dans L’Eté dernier, le suspense n’a pas lieu d’être. La turpitude passagère lézarde à peine les bases d’un clan, qui expulse grassement (tout de même on sait vivre) l’ivraie du bon grain.

Si, en son temps, Pasolini stigmatisait une hypocrisie dominante, à priori flageolante, un demi-siècle plus tard, Catherine Breillat consacre la stabilité, à priori inébranlable, d’un ordre moral, prompt à se sédimenter, face à la moindre subversion. Mais la réalisatrice ne se satisfait pas d'une élégie post soixante-huitarde. Depuis Une vraie jeune fille (1976), La trublionne ne cesse d’explorer les méandres du féminin, qui, comme tout univers intime, défie logiques et convenances.

A ce titre L’Eté dernier et sa Phèdre de notre temps, qui aime les peaux plissées, avant d'atteindre l’extase sous un corps si léger, entrent en écho avec La ligne, film d’Ursula Meier, sorti en janvier dernier. Dans les deux cas, des femmes-cinéastes démontent les mécanismes, complexes et tortueux, d’une emprise matriarcale. Et ce, au-delà des dogmes et des imprécations qui cimentent les bienséances du moment.

Dans ces diverses acceptions, dont un épilogue, dont l'ambivalence n'est pas sans rappeler la troublante conclusion, imaginée par Justine Triet pour Anatomie d'une chute,  Catherine Breillat signe un retour gagnant

Photographies : Pyramide films.

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