Apologétique de l’excès

Actualité du 08/11/2024

 

Ex-star du box office, Élisabeth Sparkle, en français Elisabeth Brillance (Demi Moore), anime un programme de fitness télévisé. Au moment de souffler ses cinquante bougies, elle est congratulée puis remerciée par Harvey (comme Weinstein), son directeur d’antenne (Dennis Quaid), en quête de chair ferme.

Au comble de l’effondrement, Élisabeth se procure The Substance, traitement régénérateur en vertu duquel, une semaine sur deux, elle devient Sue (Margaret Qualley), la nouvelle bombe qui explose les audimats.

À l’approche de la quarantaine, j’ai commencé à me sentir violemment déprimée parce que je me disais : ça y est, c’est la fin. La fin de ma vie. Je ne vais plus pouvoir plaire, être appréciée, aimée, remarquée, digne d’intérêt… À seulement 40 ans, j’ai été amenée à croire que ma vie était finie.. .

Il n’y a pas à chercher au-delà de cette citation de Coralie Fargeat, pour cerner la genèse de son second film. Le mirage des apparences imprègne déjà Reality +, court-métrage réalisé en 2014, ébauche de The Substance, couronné pour son scénario lors du dernier Festival de Cannes.

Les prémices du projet s’ancrent dans la littérature victorienne et combinent L’Étrange cas du docteur Jekyll et de Mister Hyde, longue nouvelle de Robert Louis Stevenson (1850-1894) avec Le Portrait de Dorian Gray, roman signé Oscar Wilde (1854-1900).

Sur le modèle de Jacques Audiard qui, pour Emilia Pérez,  recrée le désert mexicain ou le confort d’un chalet suisse, aux alentour d'Angoulême ou Bry sur Marne. Coralie Fargeat fabrique sa Californie à Epinay-sur-Seine et repique quelque palmiers, filmés à Nice, sur la Promenade des anglais.

Ce tournage frugal, allié au statut de réalisatrice-productrice, l’engagement sans partage des deux interprètes principales, cuirassent les choix de mise en scène ancrés sur les seules capacités du son et de l’image.

Remember You are One, (Souviens-toi, tu es Une). Ne cesse de répéter la voix S.A.V du traitement.

Effectivement, des studios télé à l’appartement, en passant par ce couloir tapissé d’affiches conquérantes et sur-retouchées, The Substance nous propulse 140 minutes durant, dans la psyché d’une femme dégradée, ulcérée, désemparée. Au fil de cette exploration, le récit avance tel un char d’assaut surmonté d’un marteau-pilon.

Car Coralie Forgeat traite le mal par le mal, l’excès par l’excès. A la pornographie arrogante des injonctions télévisuelles, répondent des représailles tonitruantes, détaillées dans une minutieuse obscénité. Elisabeth farcit le salon immaculé de Sue, de sucre, de sauces et de matières grasses. Sue puise jusqu’à sa dernière goutte, le fluide vital de sa matrice. Mais l’une et l’autre restent One.

The Substance dissèque une schizophrénie en un affrontement dantesque, strié de flashs, d’infra-basse, de fluides, de miasmes, de chair, de viande, de carcasse flétrie, de silhouettes galbées, de chancres purulents.. .

Le déchaînement dézingue l’absolutisme du regard masculin comme il dessine, nonobstant, une approche viscérale des rapports mère-fille et développe, enfin, une fable confondante sur le déni. Celle-ci transparaît lors de deux séquences, pas forcément les plus spectaculaires mais évidemment bouleversantes. Lorsque Elisabeth essuie sa bouche gorgée de rouge à lèvres. Quand, sur la mélodie composée par Bernard Herrmann pour Vertigo (Alfred Hitchcock 1958), Sue rajuste une boucle d’oreille sur un visage irrémédiablement remodelé.

Par sa fureur inflexible, The Substance réveille le souvenir de Possession (1981) ou La Femme publique (1984), continuités hallucinées issues de l'esprit frénétique d'Andrzej Żuławski (1940-2016). A l’instar du trublion polonais, Coralie Fargeat organise un pilonnage soutenu, sans rien garder sous le pied. Tant et si bien que le climax final, en dépit de ses geysers écarlates, accuse un certain essoufflement.

Quoi qu’il en soit, l’on s’extrait de The Substance, passablement groggy et bien essoré. Mais, peu à peu s’infiltre la certitude d’avoir partagé une bouffée de colère et encaissé, au passage, une déferlante de cinéma.

 

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