Entre 1986 et 1993, Claude Berri (1934-2009) connut une période patrimoniale. Avec le diptyque Jean de Florette-Manon des sources (1986), le producteur-réalisateur remit au goût du jour Marcel Pagnol (dont une partie de l’œuvre cinématographique bénéficie, cet été, d’une réédition en salle). Avec Germinal (1993), il imposa, via Émile Zola et face au Jurassic Park de Steven Spielberg, le concept d’Exception culturelle.
Trente ans après, Dimitri Rassam règle son pas sur le pas de son oncle et puise allègrement dans l’œuvre d’Alexandre Dumas (1802-1870). Moins de six mois après la sortie du second volet des Trois Mousquetaires, voici donc Le Comte de Monte-Cristo.
Scénaristes des Mousquetaires version Martin Bourbolon, Mathieu Delaporte et Alexandre de la Patellière adaptent et dirigent cette anatomie des représailles. Déplié entre 1815 et 1836, le roman s’attache au destin d’Edmond Dantès. Le marin émérite décroche un capitanat et s’apprête à convoler avec Mercédès, issue de la famille dont son père est, depuis des lustres, le fidèle serviteur.
Le jour de son mariage, Dantès est appréhendé par la maréchaussée. Alors que l’Empereur ourdit son évasion de L’Île d’Elbe, le prévenu est accusé de menées bonapartiste et incarcéré au Château d’If. Il y séjournera quatorze années.
Avec le temps, il se lie avec l’Abbé Faria (participation éclair de Pierfranceso Favino), compagnon d’évasion, doublé d’un précieux précepteur. Suite à sa carapate, Dantès devient le Comte de Monte-Cristo. Doté de moyens illimités, l’aristocrate entreprend de pourfendre ses contempteurs.
Aux antipodes de la récente version des Trois Mousquetaires, métamorphosés en commando d’élite par les guerres de religion qui dévastèrent la France du début du XVIIème siècle, les scénaristes-réalisateurs respectent le romantisme machiavélique qui structure l’ouvrage originel.
Donc, ça chevauche à travers la plaine, ça s’enlace sous les ombrages, ça creuse sous la roche et surtout ça complote, d’abord dans les antichambres puis au cœur de palais cabalistiques.
L'argent est sur l'écran et l'attachement au premier degré imprègne une distribution qui, à l’exception de Dantès et Mercédès, adhère aux stéréotypes. Patrick Mille et Bastien Bouillon endossent sans sourciller la veulerie de Danglars l’esclavagiste et l’ignominie de Fernand de Morcerf, le soupirant contrarié. Interdit et abject, le procureur Villefort confirme que, dans les brisées du lieutenant Pradelle (Au revoir Là-Haut, Albert Dupontel 2017), Laurent Lafitte excelle dans les salauds à sang froid.
Les méchants sont vils et les gentils sympas. Le schématisme est assumé et, en fin de compte, reposant. L’ambivalence sourd, néanmoins dans l’évolution de Dantès, dont les stratégies punitives répondent de moins en moins à un légitime désir de justice et, de plus en plus, à une intarissable soif de vengeance. Machiavélique, tourmenté, Pierre Niney s’inscrit en contrepoint avec l’héroïsme empanaché du genre cape et épée. A ses côtés Anaïs Demoustiers confie son aura cérébrale à Mercédès, épouse résignée mais dans ses tréfonds, fidèle à sa passion à l’instar de son Edmond vent debout contre les injustices.
Le Comte de Monte Cristo version 2024, assume un romanesque fringant, cavalier, saupoudré d’une frugale complexité.
En cette parenthèse olympique, alors qu’un large partie de la population s’enflamme devant les exploits des champions nationaux, les salles de cinémas hexagonales surnagent grâce à deux films français : Le Comte de Monte Cristo et Un petit truc en plus. Si le premier dépasse les six millions d’entrées, le second, sorti le 1er mai dernier, célèbre son dix millionième spectateur.
Certes Artus ne possède ni la maestria ni ne mobilise des moyens élyséens, pour sa chronique de vacances, apologie de l’attention, éloge d’un service public de la prévenance. Mais au même titre que Monte Cristo, son film cultive une sincérité euphorique, étrangère au cynisme institutionnel.
Simple observation de spectateur, à l’issue d’une projection lambda, des applaudissements spontanés jaillirent dès les premières lignes du générique final du Truc et du Comte. L’on plébiscite Dantès et Mercédès ; Alice, Orpi, La Fraise et leurs vacanciers, comme l’on acclame Léon, Teddy, les volleyeurs, les pongistes, les footeux, les handballeuses et les basketteuses.
Pendant ce temps, le gouvernement ne gouverne plus et la Peste brune est (temporairement ?) jugulée. Attendre et espérer, la France est au diapason de la phrase-épilogue du Comte de Monte-Cristo. Décidément, nous traversons un moment atypique. En définitive nous vivons un bel été.
Photographies : Pathé Cinéma.