Au nom du pape roi

Actualité du 05/11/2023

L’Enlèvement s’inspire de l’Affaire Mortara. En 1858, dans le quartier juif de Bologne, Edgardo Mortara (Enea Sala) est soustrait à sa famille par les gardes pontificaux. Paniquée par la fièvre du nourrisson, une ancienne servante l’aurait ondoyé (baptisé dans l’urgence). L’enfant doit, par conséquent, suivre une éducation catholique.

Edgardo entre dans un collège aux ordres du pontife, pendant que sa famille entame une longue procédure qui, deux ans plus tard, aboutit à un procès où se confrontent textes de loi et bulles dogmatiques.

L’adaptation de ce fait historique permet à Marco Bellocchio (83 ans) de livrer un manifeste formel et de creuser ses thèmes de prédilection, à commencer par l’enfermement familial, déjà au centre de son premier film (Les poings dans les poches 1966). Entre l'opacité des arcanes vaticanes et l’insondable désarroi qui écrase Momolo, Marianna Mortara et leurs six enfants, Bellocchio détaille les contrecoups de l’arrachement, dans des tonalités à la fois picturales et opératiques. Élevé dans la stricte religion juive, Edgardo (7 ans), s'engouffre contre son gré, dans un univers sulpicien jusqu'alors inconnu. Ainsi, doloriste, démesurée, la statuaire, propre aux basiliques romaines, provoque chez l’enfant des cauchemars dignes de l’épouvante gothique.

Amorcé, au cœur de la nuit, par une descente de police brutale et percutante, le récit progresse par rituels : offices religieux, délibérations d’assises.., au fil desquels l’interprétation de préceptes liturgiques se confrontent aux sinuosités des textes de loi.

Ponctué par les emphases musicales de Fabio Massimo Capogrosso, L’Enlèvement relève d’une tragédie lyrique, qui dépasse l'exercice de style fastueux , pour une autopsie de la radicalisation. Lors d’une partie de cache-cache dans les jardins du saint père, Pie IX (Paolo Pirobon matois à souhait) invite le jeune Edgardo à se dissimuler sous son manteau, comme il s’abrita, autrefois, sous les jupes de sa mère. Outre l’inanité de l’aveuglement mystique, la séquence traduit le trouble schizophrène qui s’empare de l’enfant.

Déterminante chez l’auteur, l’approche psychanalytique décrit, par l’intérieur, un lavage de cerveau, dispositif essentiel du fanatisme. Bongiorno Notte (2003), puis Esterno Notte (2022), désignent un film puis une série, centrés sur la séquestration et l’exécution d’Aldo Moro, homme d’état italien, figure de prou de la Démocratie chrétienne. Le Traitre (2019), retrace la lutte du Juge Falcone contre Tommaso Buscetta, parrain de la Cosa Nostra.

D’origine mafieuse ou terroriste, le crime organisé reste, chez Bellocchio, l’une des dommages cardinaux de l’embrigadement des esprits, au sein d’une famille, d’une communauté ou d’une institution (voir Au nom du père, son troisième long-métrage réalisé en 1972).

A ce titre L’Enlèvement s’impose comme une fresque historique baroque, ténébreuse et, par les temps qui courent, largement rattrapée par l’actualité.

 

Retour à la liste des articles