En ces temps propices aux vintage, références et autres citations, City of Darkness ressuscite l’âge d’or du polar made in Hong-Kong.
A l’aube des années 90, déboulèrent, via les festivals et marchés du film, des bandes d’action, parfois très écrites, toujours survoltées, façonnées par Ringo Lam (1955-2018), Tsui Hark, John Woo, Johnnie To, Andrew Law, dont Infernal Affairs (2002) inspira Les Infiltrés (2006) à Martin Scorsese.
La rétrocession du protectorat britannique à la Chine communiste (1997), l’exil des talents vers Hollywood, la montée en puissance des productions coréennes, participèrent au démantèlement de la filière hongkongaise. Amorcée avec Limbo (2021), City of Darkness prolonge la démarche revivaliste entreprise par Soi Cheang.
Hong-Kong, les années 80, Chan Lok-kwun (Raymond Lam), monnaie ses faux papiers contre des combats clandestins organisés par Mister Big (Sammo Hung). Son punch et son intransigeance, lui attirent l’intérêt puis l’hostilité du caïd. Au terme d’une poursuite digne des démentielles cascades de Jackie Chan, le fugitif trouve refuge dans la Cité des Ténèbres, gérée par Cyclone (Louis Koo).
Le prétexte sert de point de départ à une intrigue peu avare en coups de théâtre et séquences véhémentes, fondées non sur des fusillades (comme il est de mise dans les films de triades) mais sur de furieuses bastons. A ce titre doit-on citer les affrontements réglés par Kenji Tanigaki, qui, à l’instar de Yuen Woo-ping dont les chorégraphies transcendent Tigre et Dragon (2000) de l’académique Ang Lee, relèvent ici de la co-mise en scène.
La griffe de Soi Cheang imprime toutefois la direction artistique, dilection perceptible dans Limbo, thriller monochrome dont l’action se concentre sur une décharge à ciel ouvert. City of Darkness désigne la citadelle de Kowloon, poste d’observation édifié au Xème siècle. Éventré, reconstruit à plusieurs reprises, le bastion devint un repaire de squatters, démoli pour le compte en 1993.
La production reconstitue ce beffroi-bidonville, tressé de câbles, tôles, canalisations.. . Unique en son genre, la bâtisse figure une forteresse organique à la fois tanière et labyrinthe de tous les dangers. Chausse-trappes, ultimatums, prolapsus, effondrements.., ça macère et ça bouillonne dans ces viscères, non sans analogies avec les artères grouillantes et poisseuses arpentées par le héros de Blade Runner (Ridley Scott 1982).
Soi Cheang mitonne sa recette dans les bons vieux chaudrons du polar frénétique. Il y ajoute une pincée de nostalgie pour un cinéma et une époque préservés des censeurs post-maoistes. Il confirme encore ses tropismes masculins. Si Limbo baigne dans une rédhibitoire misogynie, City of Darkness évite l’écueil en plaçant hors-champ le féminin.
Comme dirait Billy Wilder : Personne n’est parfait.
Photographies : Metropolitan Films.