Est-ce le retour (timide) de la belle saison et des périodes de transhumance ? Toujours est-il que le pastoralisme occupe une place de choix dans les cinémas. Quelques jours après Bergers, voici donc Le Clan des bêtes. La comparaison tourne court. Car, si la québécoise Sophie Deraspe déplie une initiation erratique, du pays d’Arles vers les plateaux immortalisés par les écrits de Jean Giono (1875-1970) ; quelque part dans l’ouest de l’Irlande, Christopher Andrews dévale en quatrième vitesse une route forestière.
Au volant : un conducteur invisible, à ses côtés une mère et sa fille le supplient de ralentir. Passée cette ouverture à tombeau ouvert, s'enchaînent des séquences traversées par une femme au visage scarifié (Nora Jane Noone), un doyen grabataire (Colm Meaney), un adolescent désemparé (Barry Keoghan), enfin Michael et Gary (Christopher Abbott, Paul Ready), deux quadras que l’on devine frères ennemis.
La succession de péripéties répercute un conflit entre tradition et modernité, dilemme symbolisé dans les dialogues, par le recours à l’anglais et au gaélique.
Admirateur de Sam Peckinpah (1925-1984), à qui il emprunte le motif de Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia (1974), Christopher Andrews conjugue souvenir personnel, parabole biblique (la brebis égarée) et conflagration tragique à base de pouvoir et de filiation. Préambule tétanisant, tension permanente, crescendo d’évènements mouvementés.., le réalisateur-scénariste coche toutes les cases du (bon) film d’action.
Plus singulière s’avère la narration disruptive qui substitue temporalités et points de vue. Par l’alternance des ressentis de Michael puis son neveu, le procédé trouble à dessein la perception et les empathies du spectateur. Le déplacement des regards participe à une relecture abrupte des archétypes de la tragédie classique, à l’aune de la toxicité masculine. L'approche dialectique baigne dans une imagerie qui efface les fioritures. Au sein de paysages d’une rude beauté, la restitution de l’âpre quotidien des éleveurs, teinte la spirale infernale d’une rigueur tellurique.
20 ans après Isolation, pastorale viscérale, écrite et réalisée par Billy O’Brien, Le Clan des bêtes aborde, à son tour, la ruralité irlandaise et ses vicissitudes, par le prisme du cinéma de genre. Parmi les sorties plus récentes et aux antipodes de The Quiet Girl (Colm Bairéad 2022), élégie estivale gorgée de tendresse, cet engrenage de vengeances et de bestialité, illustre la diversité d’un cinéma d'Irlande, soucieux d’une large audience sans oblitérer ses spécificités.
En conséquence et comme le spécifie son titre original : Bring Them Down / Descendez-les, Le Clan des bêtes, nous assène une sacrée baston de bergers.
Photographies : Mubi, new-story.eu