Elles vivent au Brésil, en France, en Pologne. A priori elles avaient peu de chances de croiser. Alors survint Sonia Kronlund.
Productrice des Pieds sur terre, émission axée sur la recension de récits intimes et diffusée en début d’après-midi (13H30, du lundi au vendredi), sur France Culture, la documentariste entre en relation avec une femme dupée par un mythomane. Celle-ci la connecte avec d’autres victimes de ce fabulateur, décidément grand voyageur.
Tel est le point de départ de L’homme aux mille visages.
A contre-pied du programme radiophonique qui relaie une parole, sans relance, ni contradiction, le film prend l’allure d’une enquête menée par la réalisatrice, elle-même, à l’instar de Michael Moore (Fahrenheit 9/11 Palme d’or Festival de Cannes 2004) ou François Ruffin (Merci Patron! 2016), très présente à l’écran.
En guise de justification, Sonia Kronlund avoue sa dilection pour les menteurs-manipulateurs, prototypes d’humanité qui se sont souvent immiscés dans sa propre existence. Ainsi, conduit-elle des investigations, frappées du sceau d'un vécu personnel et de la compassion raisonnée pour l’infortune de ses interlocutrices, qu'elle protège, du moins pour certaines d'entr'elles, en confiant leur témoignage à des interprètes professionnelles.
Car L’homme aux mille visages avance comme une enquête à charge, qui, cependant, taquine les conquêtes d’un séducteur-caméléon, appliqué à livrer une image et des attitudes conformes à la fantasmatique de ses proies. Selon les circonstances, le quidam, plutôt beau garçon, devient chirurgien, ingénieur, informaticien de haut vol.. et coche bien des cases d’un idéal masculin assorti à un sentimentalisme des plus stéréotypés.
Au même titre que Nothingwood (2017), premier doc de la réalisatrice, portrait de Salim Shahem acteur-réalisateur de bandes d’action, super star sur les écrans afghans, L’homme aux mille visages travaille une ironie sans surplomb, que ce soit à l’égard d’une mégalomanie de série Z ou des rêveries de midinettes.
Habilement construit sur les mystères et les périples de ce bonimenteur bigger than life, le récit lui attribue un prénom : Ricardo, puis une physionomie, avant le climax final, qui prend la forme d’une entourloupe aux mensurations du bonhomme et dans la continuité des meilleures comédies à suspense.
Réquisitoire sévère, recherche coriace, catharsis joyeuse et néanmoins haletante, L’homme aux mille visages est un joyau du documentaire romanesque, qui se clôt dans un sourire justicier dès plus revigorants.
A lire dans la foulée : L'homme aux mille vissages, livre-enquête de Sonia Kronlund (éditions Grasset).
Photographies : Pyramide Distribution.