Ouverture au ralenti : des hommes s’agrippent à l’encolure de chevaux pour les mettre à genoux, couper leur crinière et asseoir leur domination. La séquence annonce une variante qui, plus tard retournera le récit.
As bestas (Les Bêtes) nous transporte de nos jours dans un petit village de Galice. Antoine (Bruno Ménochet) et Olga, son épouse (Marina Foïs) exploitent un potager bio et retapent des bergeries en ruine. Le couple conduit son affaire, sous le regard fermé de Xan (Luis Zahera) et Lorenzo (Diego Anigo), leurs voisins éleveurs.
Quelques temps auparavant Antoine signa une pétition à l'encontre d'un projet d’éoliennes sur la commune, au grand dam des riverains privés d’un manne financière inespérée. Depuis, Xan et Lorenzo ruminent une animosité dans laquelle se cristallisent la jalousie vis à vis d’un transfuge cultivé, intelligent, entreprenant et, pour couronner le tout, heureux en ménage.
Masse de chair surplombée d’un visage atone, Denis Ménochet se fond dans la galerie des taiseux énigmatiques qui, de l’enquêteur bègue, protagoniste de Que Dieu nous pardonne (2016) à la mère fugueuse, figure centrale de Madre (2019), jalonnent le cinéma de Rodrigo Sorogoyen. Traits émaciés, raie sur le côté, Marina Foïs n’est pas en reste lorsqu’elle prend en charge le litige et oppose à ses désormais ennemis, une détermination moins frontale, plus méthodique et tout aussi irrévocable.
Arc bouté sur un scénario co-écrit par Isabel Pena, déjà sollicitée dans El Reino (2018) et Madre, Sorogoyen dose le malaise, instille l’agressivité dans le no man’s land escarpé. Pas d’effets spectaculaires, juste le silence et des apparitions lardés d’échanges d’abord insidieux puis de plus en plus rudes, qui culminent lors de l’explication entre Xan et Antoine, à l'évidence le climax de l’histoire.
Deux univers se détruisent dans un monde qui se meurt, Rodrigo Sorogoyen met son intelligence narrative et son attrait pour les caractères trempés, au service de l’analyse systémique de la montée d’une aversion et ses acmés insoupçonnées. As bestas relève du radical et du magistral, décidément Rodrigo Sorogoyen est un très très grand.
As bestas : vendredi 23 mai, 21H05 France 5.
Ps : le scénario de As bestas, de même que les titres précédents de Rodrigo Sorogoyen est signé Isabel Pena, par ailleurs scénariste des Maudites, film de Pedro Martin-Calero, dans les cinémas depuis le 21 mai.