Childs in Time

Actualité du 23/10/2024

 

Auréolé du triomphe du Grand Bain (2018), Gilles Lellouche délaisse les piscines propices aux trempettes neurasthéniques, pour une fresque fast and furious, sur fond d’effondrement des Trente Glorieuses. Et, en effet, dans L’Amour ouf on paye en francs, on roule en 204, on glisse des pièces dans les taxiphones et Billy Idol ou Deep Purple dans le walkman.

Tout commence à l’aube des années 80, dans une cité industrielle du Nord de la France. Suite au décès de sa mère, Jacqueline (Mallory Vanecque), s’installe chez son père (Alain Chabat), réparateur-installateur de radio-télévision. Sur le chemin du lycée, elle croise Clotaire (Malik Frikah). L’élève studieuse et le voyou déscolarisé se défient, se jaugent, se reniflent, avant d’entamer une idylle qui les embrase d’une inexorable passion.

Depuis plusieurs années, Jackie loves Johnser OK ?, roman publié en 1997 par l’écrivain irlandais Neville Thompson, squatte le chevet de Gilles Lellouche. Fort de son premier succès (plus de 4 millions de spectateurs), l’acteur-réalisateur bénéficie de larges moyens pour une adaptation qui englobe les années 80-90. L’entreprise est ambitieuse : examiner les prémices de la désindustrialisation sur le tissu social et ses dommages collatéraux sur les relations sentimentales.

La chronique d’un effondrement se double d’un éloge du geste amoureux. L’inventaire aborde le respect filial et les dilemmes paternels : les colères de papa-poule chafouin après la journée buissonnière de sa fille ; ou les tannées assenées par le patriarche prolo (Karim Leklou) qui, en lui-même, admet que son fiston rejette un avenir tracé et corvéable. La clairvoyance maternelle n’est pas en reste, à travers les interventions discrètes de la frémissante et toujours impeccable Élodie Bouchez. S’affiche encore la fidélité indéfectible du frangin de Clotaire (incontournable Raphaël Quenard). La déclinaison méthodique se fond dans le brasier qui fusionne la lycéenne et le mauvais garçon.

 

Contre-jour, macrophotographies, surexpositions, montage cut, gros son.., Gilles Lelouche filme les années 80 à la manière des années 80, lorsque Jean-Jacques Beneix (1946-2022, auteur de Diva 1981 et 37°2 le matin 1986), Ridley Scott (The Duellists 1977) ou Adrian Lynne (Flashdance 1983) imposaient leur esthétique dérivée de la publicité et du vidéo-clip. Rythmés par Child in time ou les suites orchestrales d’Alan Parson, les bourre-pifs s’enchaînent aux effusions. Les gamins sont formidables et Benoît Poelvoorde campe un De Niro des corons hautement iconoclaste.

Pourtant, passée les quinze années d’ellipse, la fresque se cherche un second souffle. La fraîcheur des tourtereaux cède la place au charisme identifié de François Civil et Adèle Exarchopoulos. Improbable miraculé, Jean-Pascal Zadi s'extirpe d'une malle, Vincent Lacoste assure le service minimum. L’intérêt s’érode d’autant que, derrière la caméra, le réalisation semble en mal de carburant.

En fin de conte, il existe bien des analogies entre Lelouch (Claude) et Lellouche (Gilles). Le maître et son cadet partagent une foi viscérale en un romanesque parsemé de bouffées lyriques, pimenté de dialogues bien sentis. L’un et l’autre aiment le spectacle, adorent les acteurs et osent souvent sans crainte de se planter. Certes, L’Amour ouf est parfois too much. Mais d’un bout à l’autre, la pièce montée respire un cinéma gorgé de références, serti de ferveur, pétri de sincérité.

Photographies : Cédric Bertrand, Trésor Films,  CHI-FOU-MI Productions, Studio Canal.

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