Conte des cinq saisons

Actualité du 27/10/2025

 

Hafsia Herzi sait filmer les mères. L’actrice-réalisatrice l’a prouvé dans Bonne Mère (2021), second long-métrage illuminé par Halima Benhamed, quinquagénaire non professionnelle croisée en marge d’un casting.

Paisible dans son souci, une matriarche ensoleille à son tour l’une des ultimes séquences de La Petite Dernière. Une table de cuisine, quelques mots, un cadeau, beaucoup de silence, Kamar (Amina Ben Mohamed) signifie à Fatima (Nadia Melliti), sa benjamine, que, parfois, lorsque les maux restent enfouis, les mots s’avèrent superflus.

Ce moment de tacite compréhension, résume l’esprit d’un troisième film, adaptation du roman autobiographique de Fatima Daas, publié en 2020 par les Éditions Noir sur Blanc.

Pratiquante assidue, éprise de foot, férue de philosophie, Fatima est le joyau ultime d’une famille française d’origine musulmane. Pourtant un asthme chronique traduit les désarrois intérieurs de la bachelière, taraudée par l’émergence de son homosexualité.

Pour circonvenir ses inclinations, Fatima se dédouble. Le soir venu, elle devient Leïla, s’attribue une origine égyptienne et s’inscrit sur les applications de rencontres.

De l’automne à l’automne, chapitré sur cinq saisons, La Petite Dernière adopte les atours d’un conte initiatique, au fil duquel les aléas d’une éducation sentimentale s’entrecroisent avec l’affirmation périlleuse de déterminismes intimes.

Découverte chez Abdellatif Kechiche (La Graine et le Mulet 2007), Hafsia Herzi reprend quelques figures de style propres à son mentor: activités en cuisine, séquences de repas,, sorties nocturnes.., dont elle resserre la durée et efface l’éventuelle complaisance.

Le père sur le canapé et les femmes aux fourneaux, on épluche, on bavarde, on se houspille, on se rabiboche. Ces échanges à priori complices et cathartiques tiennent pourtant à distance certaines vérités. Le découpage se montre audacieux, une croupe sensuellement offerte est brusquement barrée par un minaret en contre-plongée. Mais l’entretien qui suit, présente un imam attentif et pas vraiment dupe, qui s’en tient aux dogmes mais sans imprécation, ni trop d’illusions sur la portée de ses recommandations.

Éblouissement, communion, chagrin, l’initiation englobe la carte du tendre. Toutefois, à l’image de son héroïne, réservée et perspicace, les émois amoureux restent intériorisés et analysés dans une stoïque élégance. De l’automne à l’automne, Fatima passe du lycée à la faculté. De l’automne à l’automne, un appétit de savoir et un éveil à soi-même s’épanouissent dans une salutaire expérience.

La Graine et le Mulet il y a bientôt vint ans et plus récemment : Le Ravissement (Iris Kaltenbach 2023), Borgo (Stéphane Demoustier 2023) ; si elle s’affirme comme une actrice de tout premier plan, avec La Petite Dernière, Hafsia Herzi confirme une singularité de regard et une maîtrise narrative qui figurent l’empreinte d’une vraie cinéaste.

Photographies : Arte / MK2.

Retour à la liste des articles