De corps en corps

Actualité du 05/09/2022

Claire Denis aime travailler les corps, qu’elle aborde avec fantaisie : les cours de self défense prodigués par Ninon (Line Renaud) dans J’ai pas sommeil (1994) ou fascination : les postures militaires de Beau travail (1999). Du physique à l’organique, il n’y a qu’un pas, franchi en 2001 par Trouble Every Day, fable clinique où la dévoration s’assimile à la passion, dialectique reprise 15 ans plus tard dans Grave, premier opus de Julia Ducournau.

Avec amour et acharnement alterne les pleins et les déliés d’une chorégraphie corporelle. En ouverture : le ciel, le soleil et la mer; un homme, une femme s’attirent, s’enlacent le temps d’une baignade. Séquence suivante : fin des vacances, elle et lui, bras dessus-bras dessous, réintègrent leur appartement parisien. Dès lors les corps de séparent. Sarah (Juliette Binoche) reprend l’antenne à Radio France Internationale. Jean (Vincent Lindon), satisfait aux formalités de création d’une auto-entreprise.

Un matin, Sarah aperçoit François, son ancien amant, par ailleurs meilleur ami de Jean. L’attirance, le désir comme un éclair, un spasme, une convulsion. Hasard ou stratagème, quelques jours après, François propose à Jean d’intégrer sa nouvelle agence de rugbymen. Car François a été joueur professionnel avant de passer, on ne saura pourquoi, par la case prison. Jean accepte, les retrouvailles entre Sarah et François sont inévitables.

Étreintes attentives de l’un, exigences brutales de l’autre, aux choix, Sarah opte pour l’abandon. Elle dissimule, nie, navigue à vue, me maîtrise rien. Mais toujours en pleine conscience. Avec la complicité de Christine Angot (Le film est l’adaptation de l’un de ces romans), Claire Denis bouscule les stéréotypes de genre face à l’air du temps : douceur et vigilance se déclinent au masculin, pulsions et manigances s’accordent au féminin.

Les uns et les autres se parlent peu. Les trois se connaissent depuis des lustres. Peut-être Jean et Sarah n’ont-ils jamais eu grand-chose à se se dire (la pratique intensive du rugby est à priori très éloignée des analyses géopolitiques) ? Ou se sont-ils tout dit ? Subsistent les corps, prostrés ou transportés, épanouis ou épuisés. Affranchis à Claire Denis et ses procédés, Juliette Binoche, Vincent Lindon, Grégoire Colin se jettent (à corps perdus?) dans cette vivisection affective, étrangère à la morale, à la bienséance, aux modes idéologiques, sans pour autant oblitérer la force, la vérité et la cruauté des sentiments

A ranger entre Faces de John Cassavetes (1968) et Nous ne vieillirons pas ensemble de Maurice Pialat (1972), Avec amour et acharnement demeure avant tout l’un des meilleurs films de Claire Denis.

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