Première image : l’aquarelle d’un château, dont les contours se confondent peu à peu avec une bâtisse en dur, au sein d’une forêt, auréolée d'une aura printanière. Raphaël, le gardien (Raphaël Thiéry), vit avec sa vieille mère (Mireille Pitot), dans une annexe du domaine. Il est visité par Samia, la postière (Marie-Christine Orry), avec laquelle il partage quelques galipettes en sous-bois.
Survient le retour klaxonnant de Garance (Emmanuelle Devos). Harassée, cassante, la propriétaire se cloître dans la bastide. Un soir, alors qu’il lui apporte son repas, Raphaël découvre son anatomie assoupie, dénudée, topographiée de pointillés, tel une bête de boucherie. Le tatouage inattendu déclenche une curiosité amoureuse chez le serviteur qui, lors d’une intrusion nocturne, découvre une pièce tapissée de dessins et d’ébauches, autour de son physique massif et crevassé.
Vous êtes un paysage…, accidenté de vallons et de canyons. Lui avoue la plasticienne-performeuse, adepte des symboliques organiques, dans l’écume d’une Marina Abramovic ou d’un Jan Fabre. Raphaël accepte sa proposition et devient le modèle qui, chaque jour amène à Garance, l’argile nécessaire pour sa statue en pied.
Une empathie se noue entre le sujet et l’artiste, qui, une autre nuit, sera réveillée par les lamentos de la cornemuse que Raphaël active, tel une pavane amoureuse, entre les parois de la piscine sans eau.
Si Raphaël inspire Garance, il en est de même pour son interprète et sa réalisatrice. Garde forestier de profession, fondateur d’une troupe de théâtre, cornemuse solo dans un groupe de musique traditionnelle, Raphaël Thiery fut découvert au cinéma par Alain Guiraudie (Rester vertical 2016). L’année suivante il apparaît dans une une paire de courts-métrages signés Anaïs Tellène.
L’artiste et son modèle, le thème fut traitée dans une sensualité clinique par La Belle Noiseuse, étude définitive, fixée en 1991 par Jacques Rivette. Ici, l’intrication s’aborde par le prisme du conte.
On pense à l’inévitable Belle et la Bête. Toutefois, biberonnée à Hugo, Notre Dame de Paris et Radio Nostalgie (sic), fascinée par les autofictions de Sophie Calle et les aspirations franciscaines de Roberto Rosselini (Onze fioretti de François d’Assise-1950), Anaïs Tellène enveloppe sa fable dans les panaches trompeusement acidulés d’un Jacques Demy (Peau d’âne 1970, Le Joueur de flûte 1972), pimentés de gaillardises pastorales façon Alain Guiraudie.
Cette propension au paradoxe, trouve un écho dans l’interprétation. Emmanuelle Devos oblique avec grâce, de la douairière arrogante à l’urbaine étonnée. Raphaël Thiery s’empare de cet homme des bois, qui débusque les taupes à la dynamite mais borde un corps exténué, dans une infinie délicatesse.
Certes la résolution finale peine à atteindre l’érotique onctuosité de ces doigts qui sillonnent, pétrissent et caressent la glaise. Quoi qu’il en soit, empreinte d’une truculence insolite et d’une pudique complexité, cette brève rencontre mérite un déplacement et sa réalisatrice de ne pas être oubliée.
Photographies : New Story