De haute lutte

Actualité du 18/04/2023

Il se nomme Kakhi, cet ancien champion de lutte (interprété Levan Tediashvili, lui même champion olympique de lutte libre en 1972 et 1976), mène avec son épouse une existence frugale à Tibilissi, capitale de la Géorgie. Sans nouvelles depuis des mois, il boucle sa valise, à la recherche de Soso, son fils parti terminer ses études de médecine aux États Unis. Sur place il est accueilli par sa belle sœur qui régente un immeuble à Brighton Beach ou encore Little Odessa, quartier de Brooklyn, terre d’accueil des immigrants venus de l’ex-URSS. Kakhi retrouve Soso, le gamin (bon trentenaire) a interrompu ses études, dilapidé son pécule et accumulé de sérieuses dettes de jeux.

En l’état, le prétexte de Brighton 4th, laisse augurer un polar mâtiné de tragédie familiale, façon Little Odessa, premier film de James Gray, situé sur le même territoire et basé, lui aussi, sur les retrouvailles entre un fils et son père. Or il n’en est rien, car Brighton Beach est un film géorgien.

Enclavée entre la mer Noire et la mer Caspienne, cette ancienne république de l’Union Soviétique, développe depuis la fin des années 50, une vie cinématographique, amorcée par Otar Iosseliani. Né en 1934, cet ancien ingénieur développe un cinéma avare de paroles mais riche d’une fantaisie pointilliste, proche de Jacques Tati. Politiquement incorrecte en regard du réalisme prolétarien, cette approche singulière étouffa la diffusion de ses premiers long métrages, dont l’admirable Pastorale (1975) et son quatuor à cordes en répétition dans une ferme, baignée de douceur estivale.

 

Naturalisé français depuis 1982, Iosseliani poursuit sa carrière de par chez nous, abandonnant quelques pépites, voire chef d’œuvre (La Chasse au papillons 1992), sans se départir de son goût pour la contemplation et sa pratique de l’ironie. De toute évidence, au fil des générations, la Iosseliani Touch, ou est-ce tout simplement la marque du caractère géorgien ?, a conquis de multiples émules.

Fatalisme slave saupoudré de nonchalance méditerranéenne, la concoction imprègne Une famille heureuse (Simon Grob-Nana Ekvtimishvili 2017) dans lequel une femme à la faconde résolue, s’affranchit de toutes les influences ou Sous le ciel de Koutaïssi (Alexandre Koberidze 2021), chronique amoureuse au bord d’une rivière qui charrie tout un limon de petits riens.

Dans Brighton 4th, Levan Koguashvili déroule un suspense qui prend son temps, à l’image de Kakhi. Colosse impavide mais regard lumineux, le père évalue la situation et répare les dégâts. Du moins essaie-t-il de rassembler l’argent nécessaire, perméable a toutes propositions mais toujours la tête haute.

La trame devient prétexte à la peinture d’un quartier de transit où les transfuges s’enracinent car, décidément, la langue anglaise est bien ardue et l’American way of life impossible à assimiler. A Brighton Beach, les créanciers sont plus désolés que déterminés et les règlements de compte se finissent en saouleries d’infortunes ou à mains nues, sur une plage glaciale. Entre le fils immature et son paternel mutique, point de réprimande, encore moins de tragédie mais un lien immuable, indéfinissable, que seules les femmes semblent capables d’évaluer.

Ode à la loyauté et à la fierté, Brighton 4th distille un spleen impressionniste où la force devient délicate, les sentiments toujours pudiques et l’émotion partout palpable.

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