De la bêche à Bechet

Actualité du 10/06/2022

Immortalisée au cinéma par Eric Rhomer qui, en 1969, y tourna sa Nuit chez Maud. Clermont Ferrand séduit certains cinéastes du moment. La capitale de l’Auvergne et de l’industrie pneumatique inspire à Alain Guiraudie Viens je t’emmène (2021), rêverie utopiste dans laquelle des citoyens surarmés prennent fait et cause pour les SDF du quartier. C’est à Clermont que s’épanouit à son tour une curieuse Petite Fleur.

Étudiant découvrant la faculté (El estudiante 2011), enseignante fraîchement mutée (Paulina 2015), chef d’état au cœur d’un sommet international (El presidente 2017), Santiago Mitre est un adepte de l’œil nouveau. Le procédé se démultiplie pour Petite Fleur. Dans le premier film étranger du réalisateur argentin, un compatriote, auteur de bande dessinée, (Daniel Hendler), débarque à Clermont, flanqué de son épouse française (Vimala Pons) qui attend leur premier enfant.

Peu inspiré par le relookage du personnage tout en pneus, symbole d’une puissante firme locale, José est promptement congédié. Réactivité-efficacité : Lucie, sa moitié, prend les choses en mains, négocie les indemnités, trouve du travail et confie sa petite fille aux soins de son papa.

En quête d’un outil de jardin, José sonne à la villa d’à côté où réside Jean-Claude (Melvil Poupaud), dandy amateur de bons vins, de jazz sur vinyles et par ailleurs narrateur de l’histoire. Leur première entrevue s’amorce sur des tintements de verres, accompagnés par la clarinette de Sidney Bechet (1897-1959). Puis se conclut dans une mare de sang.

Paralysé par la crainte, rongé de remords, José reste stupéfait lorsque, quelques jours après, il croise Jean-Claude qui le convie à une nouvelle dégustation,. Qui débouche sur le même dénouement. Au fil des semaines, José perpétue ce rituel mortifère, surtout lorsqu’il constate qu’à la suite de chaque assassinat, Lucie rentre à la maison non plus épuisée mais d’humeur radieuse, débordante de désir et de belles idées comme assister à un concert d’Hervé Vilard.. .

Amorcée façon étude d’un couple en butte à la flexibilité et à l’arrivée d'un enfant, Petite fleur bifurque vers la fantasmagorie insolite cultivée par les écrivains latino américains (Jorge Luis Borges, Julio Cortazàr..). Admirablement illustrée par certains films français de Luis Bunuel (écrits par Jean-Claude Carrière) : Le Charme discret de la bourgeoisie (1972), Le Fantôme de la liberté (1974), cette façon, non de collisionner mais de fondre le bizarre voire l’irrationnel dans la banalité quotidienne est finement prolongée par Santiago Mitre.

Allégorie autour d’un ménage déphasé, satire de dérives New Age (en pleine inconscience), exploration d’un esprit aux frontières de l’autisme (déjà introverti, José refuse d’apprendre le français), une étrange Petite Fleur effeuille ses pétales et multiplie ses entrées. Agrégée à la qualité des interprètes, dont Vimala Pons une vraie nature comique, la sobriété méthodique de la réalisation cimente l’originalité de ce conte subtil, loufoque et malicieux .

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