De la neige et des colts

Actualité du 31/03/2022

Dans ses innombrables interviews, Jean-Louis Trintignant aborde Le Grand Silence toujours avec plaisir. A l’orée des années 60, suite au succès du Fanfaron (Dino Risi 1962), l’acteur partage sa carrière des deux côtés des Alpes. En 1968 il côtoie Gina Lolobrigida dans La mort a pondu un œuf , polar aviaire et antonionesque, signé Giulio Questi, à l'époque valeur montante du cinéma transalpin. Sur le tournage, Trintignant glisse son sentiment au producteur de la Cine Azimut (sic), avec lequel il est entré en sympathie: Ce film va être un bide, tu vas perdre beaucoup d’argent. Pour te rattraper tu devrais produire un western. Si tu veux, je le fais avec toi.

Le pronostic s’avère exact et induit le projet du Grand Silence. Celui ci est confié à Sergio Corbucci (1926-1990), routier du cinéma populaire qui affiche déjà plus de trente films au compteur. Passé par la comédie, le péplum (Maciste contre le fantôme co signé avec Giacomo Gentilomo 1961, Romulus et Remus 1962), Corbucci s’adonne désormais au western. Par sa brutalité tellurique, son Django (1966) a marqué les mémoires, déchaîné les censures et, 46 ans plus tard, inspirera un remake-hommage à Quentin Tarentino. Trintignant honore donc sa promesse, tout en regrettant la logorrhée qui caractérise souvent les cowboys du vieux continent. Corbucci entend la remarque et rend son rôle muet.

Le Grand Silence désigne donc le héros mais aussi le théâtre de l'action, vastes étendues neigeuses qui écrasent les sons, épuisent les chevaux, pétrifient les cavaliers et préservent les cadavres. Co signé par Sergio Corbuccii, son frère Bruno, Vittoriano Petrilli et Mario Amendolla, le script s’inspire d’un fait historique. En 1898, le gouvernement des Etats Unis décréta une amnistie générale afin de mettre un terme aux exactions des chasseurs de primes. Le Grand Silence s’ouvre par l’arrivée d’un cavalier muet (Trintignant) à Snowhill, petite ville de l’Utah. La bourgade est prise en tenaille entre des bandits affamés, terrés dans les montagnes et des justiciers tarifés, conduits par Tigrero (Klaus Kinski égal à lui même), en quête d’ultimes contrats avant de devenir eux même hors la loi.

Ciel bas, personnages dépenaillés sous le joug de potentats véreux et leurs sanguinaires dessoudeurs, le script réanime l’atmosphère de Django. Mais ici le cloaque de la frontière mexicaine cède la place au givre et aux congères des Rocky Mountains. A part ça? La routine: les allusions humoristiques se diluent encore dans des saillies cruelles et les scènes de saloon se terminent toujours par un carnage. Mais aux antipodes des rituels graphiques de Sergio Leone, les déchaînements de Corbucci sont fulgurants, sans afféteries et sans commentaires.

Deux crimes par personne. Nous viendrons les encaisser au nom de la loi.

Ainsi se clôt Le Grand Silence. Si Leone cultive brillance et truculence, Corbucci nourrit une misanthropie morbide. Au cœur des immensités glaciaires, ses longues chevauchés vers la nuit rejoignent les topographies nihilistes tracées par Dino Buzzati ou Samuel Beckett.

On remarquera toutefois que cette geste funèbre comporte une séquence de séduction admirable (et sans parole), entre Vonetta McGee et Jean Louis Trintignant. On notera également que, western européen oblige, Le Grand Silence fut tourné sur le domaine de Cortina d’Ampezzo, station de ski huppée des alpes italiennes. Ce qui occasionna de longues et agréables soirées. Voilà sans doute pourquoi Sergio Corbucci rechignait à se lever le matin pour visionner les rushes. C’est également au cours de ses afters, qu’à l’image de Silence qui noie son mégot dans le verre de Tigrero, Klauss Kinski écrasa le sien dans le plat de spaghettis qu’il avait cuisiné pour l’équipe. Comme quoi certains méchants affectionnent la détestation.

Plus d’un demi siècle après sa sortie, Le Grand Silence revient numérisé et restauré. Après avoir essuyé le mépris des élites, après avoir écumé les doubles programmes des salles de quartier, le film de Sergio Corbucci connaît l’honneur des écrans de répertoires et d’art et essai. Preuve s’il en est qu’il n’existe pas de genres majeurs, ni de genres mineurs. Mais simplement de bons et de mauvais films.

Références de l’article : Jean-Louis Trintignant l’inconformiste, Vincent Quivy.

Jean-Louis Trintignant la passion tranquille, entretiens avec André Asséo

Et l’indispensable 20 ans de western européen Alain Petit.

Le Grand Silence dans les salles à partir du 30 mars.

 

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