Dernière récolte

Actualité du 12/04/2025

 

Harvest s’ouvre au crépuscule, sur la baignade extatique d’un homme dans l’onde d’un lac cerné de cimes majestueuses. A l’issue de ses ablutions, Walter Thirsk (Caleb Landry Jones) se joint à la lutte contre l’incendie qui dévaste une bâtisse et son beffroi d’église.

Au péril circonscrit, succèdent la moisson, puis l’accueil peu hospitalier de trois allochtones, dont une femme afro-descendante. Survient enfin, l’irruption d’hommes de loi, aux côtés du nouveau propriétaire, déterminé à redistribuer les terres et diversifier les activités. Les évènements se précipitent sous le regard d’un peintre-géomètre (lui aussi noir de peau ; un étranger ?), chargé de fixer au plus près les paysages ; sans doute un clin d’œil à Meurtre dans un jardin anglais, signé en 1982 par le très caustique Peter Greenaway.

Adapté du roman homonyme de Jim Crace (Rivages éditions 2014), Harvest (Moisson) est le troisième long-métrage d’Athina Rachel Tsangari. Fille d’agriculteur, la réalisatrice grecque transporte les conflits en Écosse, à Inverlonan, hameau préservé sur les rives du Loch Nell. Situés à la frontière des XVIème et XVIIème siècles, période où furent instituées les Inclosure Acts (mesures de parcellisation), les évènements se pigmentent d’anachronismes (certains éléments de langage), de séquences édéniques (la récolte du blé dépeinte avec moult précisions), de rituels et châtiments claniques, dont la transe ou la cruauté assimilent le film à la Folk Horror et au mythique The Wicker Man (Robin Hardy 1973).

Le cofinancement par Sixteen Films, société de production de Ken Loach, héraut du réalisme social (The Old Ark-2023 ; Moi, Daniel Blake-2016…), la prestation velléitaire et déconstruite de Kaleb Landry Jones, à contretemps de son prix d’interprétation décroché lors du Festival de Cannes 2021 pour Nitram, anatomie d’un tueur en série réalisée par l’australien Justin Kurzel ; ces caractéristiques alimentent encore l’intérêt perplexe suscité par cette geste, à la fois reconstitution d’époque et métaphore sur la prédation décomplexée, l'aversion pour l'art et les problématiques de genre, propres à aujourd’hui.

Si l’action (plutôt dense) s’écoule sur sept jours, durée de la sanction infligée aux primo-arrivants, le récit gagnerait par moment à resserrer sa durée (131 minutes). Les étirements narratifs se compensent par l’homogénéité d’une distribution, constituée d’amateurs et professionnels et une direction artistique, dosage accompli de restitution picturale et de vérisme historique.

Productrice des coups d’essai de son compatriote Yorgos Lànthinos (dont le très acéré Canine 2009), Athina Rachel Tsangari amalgame à son tour l’insolite et la férocité. A l’écart des stéréotypes par trop manichéens (arrogance des possédants, dévouement des métayers), Harvest étonne et captive par sa capacité à combiner le pamphlet, la fantasmagorie et le lyrisme pastoral. Nul doute que ce fabliau atypique renferme les germes d’un futur film-culte.

Photographies : Shellac Distribution.

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