Artiste dissident, Mohammad Rasoulof trouva une partie de son inspiration durant ses fréquents séjours dans les geôles iraniennes. Emprisonné suite à son refus de verser un pot de vin, il en ressortit avec le sujet de Un homme intègre (2017).
Je ne sais pas quoi répondre à ma femme et à mes enfants qui m’interrogent sur ce que nous faisons. , lui confia un cadre de l’administration pénitentiaire, lors d’une incarcération. L’anecdote charpente Les Graines du figuier sauvage.
Iman (Misagh Zare) passe par un lieu de prière puis rentre chez lui. Il annonce à Najmeh (Soheila Golestani) sa nomination au rang d’enquêteur (juge d’instruction). Une augmentation, un lave-vaisselle, plus tard un logement de fonction.., l’épouse se réjouit de la promotion. C’est alors que la réalité rejoint la fiction. Déclenché par l’assassinat, en septembre 2022, de la jeune Mahsa Amini appréhendée pour non port du voile, le mouvement Femmes, vie, liberté place en tension la police et les tribunaux révolutionnaires.
Narrateur méthodique, Rasoulof structure un récit en trois actes. Le premier assure l’exposition à travers le portrait fouillé d’une famille bourgeoise. A l’image du fonctionnaire à l’origine du film, le père s’avère consciencieux dans sa tâche mais circonspect sur son mandat. Chez lui, il reste attentif à l’épanouissement de ses deux filles (Mashsa Rostami et Setareh Maleki). Soucieuse de son confort, sensible à la reconnaissance sociale, Najmeh veille à l’harmonie du foyer, entre un époux absorbé par de nouvelles responsabilités et ses adolescentes averties et éduquées.
Les manifestations protestataires et leur brutale répression, la disparition d’un revolver (en Iran les juges disposent d’une arme de service) basculent l’intrigue vers le suspense. Gros plans sur les visages, multiplication des miroirs, vitrages ou vitres de smartphones qui reflètent les énigmes intérieures ou instillent la fureur de la rue au sein du bunker intime ; avec des moyens de fortune : caméras miniatures, lampes de poche.., Rasouloff développe un huis-clos à mi chemin entre les dissections d’Ingmar Bergman, le cinéaste (1918-2007) et les romans à énigmes chers à Agatha Christie (1890-1976).
Consciencieusement érigées, les cloisons se lézardent sous les suspicions. Miné par la panique, chaviré par la paranoïa, Iman applique à sa famille ses pratiques professionnelles. D'analyses comportementales à des expédients plus coercitifs, le troisième et ultime segment agrège thriller, western et tragédie antique.
Débarrassé des scories maniéristes, perceptibles dans Le diable n’existe pas (2020), Les Graines du figuier sauvage développe une description sombre et scrupuleuse d’une contamination par la peur. Une terreur officielle qui brouille les discernements, brise les convictions et transforme un patriarche éclairé en ogre insensé.
A travers le combat au finish qui oppose Iman (prénom symbolique) à Najmeh et ses filles, Mohammad Rasoulof dresse un hommage haletant et majestueux à la clairvoyance impétueuse des femmes d’Iran, sous le joug d’un régime à la fois cramponné à des usages moyenâgeux et submergé par les colères et révoltes qui circulent, hors de toute censure, sur les réseaux sociaux.
Les graines de figuiers sauvages germent dans les écorces d’autres essences et finissent par étouffer l’arbre qui les abritent. Des cellules aux cellulaires, la métaphore recouvre la terreur endémique qui paralyse une société, tout comme elle scrute le désir d’émancipation qui infuse dans les têtes et les portables de la jeunesse iranienne.
Orfèvre du récit, alchimiste des genres, Mohammad Rasoulof, désormais installé en Allemagne, signe un précipité de cinéma digne des grands contes persans.
Citations extraites du journal Le Monde du 18 septembre 2024.
Photographies : Pyramide distribution.