Des hommes d’influence

Actualité du 05/04/2022

Prof de gym le jour, salariée dans un entrepôt logistique la nuit, France (Emmanuelle Bercot) milite contre l’usage de la Tétrazyne, à l’origine du cancer qui frappe son époux. Les protestataires sollicitent Patrick (Gilles Lellouche), avocat spécialiste du droit environnemental. Durant son enquête, le plaideur croise Mathias (Pierre Niney), lobbyiste au service de Phytosanis, géant de la chimie, fabricant du pesticide cancérogène.

Auteur de L’affaire SK1 (2014) dans lequel il reconstituait la traque du tueur Guy Georges, Frédéric Tellier confirme avec Goliath son tropisme pour les films enquête.

Le récit se développe selon trois points de vue. France est gagnée par la douleur et la colère qui brouillent sa clairvoyance. Pot de terre confronté à un pot de fer, Patrick devine dans cette affaire, l’opportunité d’un retour vers une conscience et un idéal . Dans les deux parcours quelques films ressurgissent : Le verdict (Sydney Lumet 1982), Révélations (Michael Mann 1999) et plus proche encore, Dark Waters (Todd Haynes 2019).

Le cas Mathias s’avère plus inédit. D’une maîtrise accomplie, tant dans son apparence que son comportement, le conseiller travaille ses dossiers, affine ses investigations, détecte les failles. A l’arrivée il produit argumentaires, éléments de langage et autres pirouettes, susceptibles de déstabiliser les parties adverses. Sa rencontre avec l’avocat constitue un sommet dans l’art de la négociation. L’entrevue s’ouvre par des flatteries teintées de connivence, puis oblique vers la corruption avant de se dissoudre dans l’intimidation jusqu’à la menace. Les dialogues serrés, la tension des deux interprètes rendent l’échange mémorable.

Pourtant, dans son cercle intime, Mathias est un époux fidèle et un père attentif. Il n’oublie pas les anniversaires, ne rate aucun raout familial. Pas de hiatus ni d’états d’âmes, l’homme cloisonne à la perfection les attentions de Jekyll et les saletés de Hyde. Précis dans ses mimiques, économe dans ses effets, Pierre Niney nourrit l’opacité du personnage sans chercher ni à l’avilir, ni à le justifier. Comme le suggère le titre: dans Goliath c’est le méchant qui est intéressant.

Avec ce troisième opus, Frédéric Tellier confirme son appétence à montrer le travail. Le film s’ouvre sur une longue séance de procès, à l'intérieur d'une salle anonyme et exiguë, très éloignée des tribunaux hollywoodiens. Pas d’effets de manche, pas de scènes d’actions, ni de coups de théâtre à répétition, le suspense découle de la pensée, de la réflexion, voire de l’affliction. Goliath relève, comme l’on disait autrefois, du film engagé, à message, à thèse, du film dossier. Goliath se définit désormais comme un excellent film à enjeux.

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