Last Night in Soho (Edgar Wright 2021), Egö (Hanna Bergholm 2022), la psyché féminine inspire le Fantastique du moment. Men rejoint cette ligne de force et confirme les thèmes chers à Alex Garland. Une androïde s’affranchit des algorithmes de son créateur (Ex-Machina 2014), une militaire-scientifique pénètre un champ magnétique qui pétrifie les personnalités (Anihilation 2018), le troisième film du réalisateur-romancier britannique s’attache à nouveau à une héroïne déphasée.
En dépression depuis le suicide de son époux, Harper (Jessie Buckley) quitte Londres pour une retraite dans un cottage isolé. Une fois les clés récupérées auprès d’un voisin limite agricole, la jeune femme entame sa résilience dans la grisaille automnale. Grisée par une nature à la fois âpre et apaisante, elle remarque néanmoins ces Green Men, stèles grimaçantes, tapies dans une église. Son chemin croise encore un policeman inquisiteur, des piliers de pub égaux à eux même, un homme d’église à la trouble clairvoyance. Et il y a cette silhouette dénudée aperçue au bout d’un tunnel, un faune intrusif échappé d’un mauvais rêve, d’un grimoire de magie noire ou d’un asile de forcenés.. .
Par delà les rencontres et les apparitions, le récit verse insensiblement de la résilience élégiaque, vers le bizarre (les robes d’un autre âge prisées par la locataire) puis l’inquiétude (l’air de famille des hommes croisés). Du film mental il n’y a qu’un pas, franchi par une trame qui empile les hybridations.
Un esprit chaviré issu de Répulsion (Roman Polanski 1965) croise les rêveries troublantes d’Alice au pays des merveilles. Le brouillage de pistes entre en résonance avec la composition de Jessie Buckley, tantôt poupée attardée, tantôt figure androgyne, le visage figé dans un perpétuel désarroi et une vague adolescence.
Avec Men, Alex Garland délaisse son formalisme high-tech pour des humeurs plus picturales. Enveloppé dans un impressionnisme ténébreux digne des paysages de John Constable (1776-1837) le film se résout lors d’un climax dans le sillage de Jérôme Bosch (1450-1516).
Par son ouverture biblique (Harper croque une pomme à son arrivée dans le jardin), jusqu'à son épilogue organique emprunté à HP.Lovecraft (1890-1937) et aux productions de Brian Yuzna (en particulier Society 1989), Men s'assimile à un conte savant, malin dans sa progression, sidérant à son final et dont la morale rappelle qu’en ce bas monde tout sort du vagin.