Deux nigauds contre Cruella

Actualité du 09/12/2025

 

De prime abord Bugonia surprend par sa modestie. Non de ses ambitions, car son auteur, Yorgos Lànthimos (The Lobster 2015, Pauvres Créatures 2023) , conserve une haute idée de son cinéma ; mais par la frugalité de sa production.

Le projet se présente comme le remake de Save the Green Planet. Dans cette fable uchronique livrée en 2003 par le coréen Jang Joon-hvan, deux adolescents enlèvent le patron d’un firme pharmaceutique, qu’ils considèrent comme la base avancée d’une invasion extra-terrestre.

La version américaine se focalise sur Teddy (Jesse Plimons), employé chez Auxolith, multinationale du médicament. Le garçon est persuadé que son usine est infiltrée par des Andromédiens (aliens hostiles) et que les rejets industriels sont responsables de la dévastation de ses ruches. Flanqué de son cousin quelque peu attardé (Aidan Delbis), le manutentionnaire entreprend de séquestrer et confondre Michelle Fuller (Emma Stone), la toute-puissante directrice de Auxolith.

Il en résulte un huis clos parfois pittoresque, souvent percutant, orchestré par une Cruella, survoltée par les avanies que lui imposent ces deux nigauds, qui compensent mépris et chagrin par l’absorption intensive de divagations complotistes.

 

Cette plongée brutale dans l’Americana délaissée, réveille le souvenir de quelques classiques du survival (film de survie) qui bousculèrent le cinéma US des années 70. Au même titre que Délivrance (John Boorman 1972), Massacre à la tronçonneuse (Tobe Hooper 1974) ou La Colline a des yeux (Wes Craven 1977) ; Bugonia propulse la civilisation éduquée des villes dans les rites régressifs qui s’épanchent dans des arrières-pays arriérés.

Mais au sein des territoires oubliés de 2025, la bestialité barbare se modernise auprès d’une humanité, qui substitue la junk food à la chair humaine. Et dont la sauvagerie bestiale s’affine au contact des aberrations déversées par les réseaux sociaux.

Cette actualisation des inclinations dégénérées qui innervent esprits en déshérence et territoires oubliés, est co-produite par Emma Stone, actrice fétiche de Lànthimos, aux côtés du réalisateur Ari Aster, à l’origine de Eddington, pernicieuse escapade dans un bourg américain figé dans les clivages et les replis identitaires.

Qu’elle soit ligotée, rudoyée ou transie de prévenance, la première paye de sa personne avec une évidente délectation. Quelque peu revenu (pour l’instant) des ses pièces montées auto-fictionnelles (Beau is afraid 2023), le second écarte son confrère grec de ses circonvolutions baroques. Le démiurge s’émancipe néanmoins lors d’un final boursouflé qui, par jeu ou par conviction, rebat les points de vue.

Cependant, même s’il brouille inutilement les cartes, Bugonia intrigue et déstabilise par sa tension permanente et son mélange malin de terreur et de bouffonnerie.

Photographies : Universal Pictures.

Retour à la liste des articles