Les oeuvres qui cumulent les références prennent souvent le risque d’être écrasées par leurs modèles. Dans ce registre : Henrik Ibsen, Anton Tchekhov, Ingmar Bergman, Alain Resnais.., Valeur sentimentale empile d’illustres inspirations.
Qu’on en juge : tout commence dans une maison. Nora (Reinate Reive) et Agnes (Inga Ibsdotter Lilleaas) reçoivent leurs proches à la suite des obsèques de leur mère. La réunion occasionne la réapparition de Gustav Borg (Stellan Skarsgard). Absent depuis des lustres, le père, réalisateur reconnu, prépare son retour avec un nouveau projet qu’il compte proposer à sa fille, actrice en plein essor.
Les retrouvailles déstabilisent les deux sœurs. Nora amorce une dépression. Historienne de formation, Agnes se plonge dans le destin de la chère disparue, résistante torturée par les nazis durant la seconde guerre mondiale.
Théâtre : Une Maison de poupée (Ibsen 1879), La Mouette (Tchekhov 1896).., cinéma : Persona (Bergman 1966), Hiroshima mon amour (Resnais 1959).., Joachim Trier et Eskil Vogt son scénariste, multiplient les parangons et étendent leurs ambitions à travers le cheminement d’un trio emblématique.
Les arcanes du noyau familial, le passé embarrassant d’une nation, la création source de résilience et vecteur souterrain de communication ; astreintes du métier, tourments de l’âge, dédales du deuil.., Valeur sentimentale embrasse beaucoup mais jamais trop n'étreint.
Trier et son scénariste s’écartent des mignardises qui encombrent Thelma (2017) et Julie (en 12 chapitres) sorti en 2021. Le duo renoue avec l’épure de Oslo, 31 août (2011), radicale transposition du Feu Follet, roman de Pierre Drieu la Rochelle (1893-1945), adapté une première fois en 1963 par Louis Malle (1932-1995), l’un des grands rôles de Maurice Ronet (1927-1983).
La minutie de la caractérisation, la vivacité du récit, l’élégante sobriété de la mise en scène, participent d’un film à la fois dense et limpide, attentif et bouleversant. À contre-pied de la sévérité clinique qui caractérise les fictions scandinaves, Valeur sentimentale travaille le souci et la sollicitude.
L’échange nocturne entre Borg et Rachel Kemp (Elle Fanning) s’avère une rupture nimbée de respect et de dignité. Loin des contentieux à couteaux tirés qui déterminent les fratries romanesques, la relation entre Nora et Agnes respire la réciprocité et l’abnégation.
La retenue des conduites, la pudeur des sentiments entrent en multiples résonances avec le nuancier de la distribution, au sein de laquelle, altière et tranquille, Inga Ibsdotter Lilleaas s’affirme comme une merveilleuse révélation.
La douce complicité qui la relie à Reinate Reive, sous le regard attentif de l’incontournable Stellan Skarsgard, désormais associé à de vénérables figures, se pose au diapason d’une fresque intime et ambitieuse qui combine avec bonheur la complexité des affects et l'enchantement de la modération.
Photographies : Tandem Distribution.
