Deux voiles au tapis

Actualité du 07/09/2024

 

Le paradoxe perdure depuis bientôt un demi-siècle : de l’un des régimes les plus coercitifs de la planète, émergent à intervalles réguliers, des films engagés, complexes, captivants, conçus le plus souvent dans une périlleuse précarité.

Consacrés par les grands festivals internationaux, régulièrement salués par la critique et le public, Asghar Farahdi (Une séparation 2011, Un héros 2021), Jafar Panahi (Taxi Téhéran 2015, Aucun ours 2022), Saeed Roustaee (La loi de Téhéran 2021, Leila et ses frères 2022), Mohammad Rasoulof (Un homme intègre 2017, Les graines du figuier sauvage sur les écrans le 18 septembre) zigzaguent depuis des années entre clandestinité, prison et exil.

A cette production locale se greffent désormais des bandes portés par des talents transplantés. Sélectionné à Cannes en 2022, Les Nuits de Mashhad est écrit et réalisé par Ali Abbasi, réalisateur d’origine iranienne et de nationalité danoise. Couronnée pour son interprétation dans ce même titre, Zar Amir Ebrahimi, exfiltrée de l’Iran vers Paris en 2008, cosigne Tatami avec Guy Nattiv.

L’intrigue suit les éliminatoires du championnat du monde de judo situé à Tibilissi, capitale de la Géorgie, par ailleurs pays coproducteur du film. De combat en combat, Leila (Arienne Mandi au taquet comme jamais) s’affirme comme la favorite dans sa catégorie. L’athlète est coachée par Maryam (Zar Amir), dont l’expression de plus en plus inquiète, anticipe les chausse-trappes enfouies sous la voie royale. En effet, au fil des éliminatoires, l’ancienne championne entrevoit une finale opposant sa protégée à la représentante d’Israël.

L’analyse est partagée par les interlocuteurs qui squattent son portable. En raison du boycott par l’Iran de l’état hébreux et sous la pression des responsables de sa fédération, Maryam intime à Leila son retrait de la compétition. Le bras de fer à trois bandes entre la compétitrice rétive, sa superviseuse aux abois et des forces comminatoires, alimente un suspense en lieu unique et temps réel, rythmé par la succession des pauses et des engagements.

 

Noir et blanc façon reportage, montage serré, dialogues stressés, personnages sans cesse en mouvement ; sur le modèle des Nuits de Mashhad qui emprunte les figures du polar horrifique, Tatami adopte les codes dominants du thriller.

A ce jeu, force est de reconnaître que, par son écriture et sa facture, Tatami supplante son prédécesseur, dont la dénonciation d’une violence masculine sert de prétexte à l’étalage complaisant d’exactions sadiques à la limite du cinéma d’exploitation. Même s’il expédie les éléments extérieurs à la compétition (en particulier la carapate de l’époux et l’enfant de Leila), le scénario de Guy Nattiv et Elham Erfani jauge adroitement attractions et intrications. Celles-ci enrobent Maryam et Leila, dont les relations de maître à élève, s’avèrent de plus en plus indécises au fil du tournoi.

Au diapason de l'écriture et en contrepoint à l’emphase de sa prestation (pourtant plébiscitée sur la Croisette) dans les Nuits de Mashhad,  Zar Amir traduit les tourments de son personnage par le réajustement discret et répétitif de son voile, oppressant comme une cagoule de fer.

Raging Bul du Waza-Ari, Tatami témoigne d’une incontestable efficacité et maintient un équilibre tangible entre pamphlet politique et sujétion au spectacle. Ciblée sur le grand public, cette bande américano-géorgienne, signée par une iranienne et un américano-israélien, constitue le marchepied idéal vers les approches plus profondes, délivrées par les auteurs cités en début d’article.

Voilà, en fin de compte, un bel exemple de synergie.

Photographies : Métropolitan films.

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