Douce douleur des regrets

Actualité du 08/04/2022

Prix du scénario au Festival de Cannes 2021, Golden Globe et Oscar du meilleur film étranger 2022 pour Drive my car. Ours d’argent du Festival de Berlin 2021 pour Contes du hasard et autres fantaisies; depuis plusieurs mois, Ryüsuke Hamaguchi accumule les consécrations.  Au delà du talent, la reconnaissance et le succès public vont de pair avec l'émergence d'un soucis narratif, peu prégnant dans ses opus précédents.

Contes du hasard et autres fantaisies juxtapose des courts métrages, tournés avant et durant la réalisation de Drive my car, qui pour sa part, synthétise plusieurs nouvelles du maître écrivain Haruki Murakami. La brièveté des matériaux induit une rythmique et un souffle dramatiques, absents de Senses (2015) ou Asako 1&2 (2018) dans lesquels les dialogues s’étirent jusqu’à épuiser l’attention.

Contes du hasard…, aligne trois histoires générées par des coïncidences. Dans Magie, Tsugumi se confie à Meiko.  Au fil de la confession, cette dernière devine que sa meilleure amie est tombée amoureuse de l’homme qu’elle vient de quitter. Au commencement de La porte ouverte, Nao découvre qu’elle et son jeune amant ont suivi les cours du même enseignant, par ailleurs écrivain. Dans la foulée elle accepte de participer à un complot sexuel à l’encontre de celui dont elle fut la disciple. Encore une fois s’ouvre sur une rencontre inopinée. Le long d’un escalator, Natsuko reconnaît celle qui, quelques années auparavant, bouleversa son adolescence.

Chaque prétexte se développe selon un cheminement spécifique. Outre qu’il révèle des types de fonctionnement : l’épanchement chez l’un, le tiraillement chez l’autre, l’échange entre Meiko et son ex laisse transparaître des élans du cœur en contradiction avec les reproches dont s’accable le couple disloqué. Une lecture à voix haute constitue le sommet du second segment (et du film). L’élocution trouble la lectrice et bouleverse l’auteur-auditeur, à son tour sous l’emprise des sensations, qu’à travers ses phrases, il a suscitées. Lors du dernier volet, une femme entre en empathie avec une passante, au point de l’inviter chez elle puis accepter un jeu de rôle. Au gré de la simulation, l’interprétation bascule vers l’incarnation, au point où l’on se demande si celle qui joue ne masque pas son identité.

Ingénieux, voire machiavéliques, les dispositifs engendrent des ambiguïtés, des questionnements que Hamagachi abandonne aux spectateurs. Meiko a-t-elle eu raison ou est-ce qu’elle a tout gâché ? A travers sa lecture, Nao n’avoue-t-elle pas un sentiment enfoui et qu’elle découvre partagé ? Son interlocuteur laisse-t-il la porte ouverte pour se garder des rumeurs ou pour canaliser ses inclinations ? Enfin qui est vraiment cette femme chavirée par les souvenirs d’une inconnue ? Ces questions sans résolutions définitives tissent un réseau de souvenirs et de regrets, une arborescence de la mélancolie où tout s’est fané à défaut d’être achevé ou d’avoir simplement commencé.

Conçu pendant un confinement, l'ultime épisode imagine qu’un virus informatique met hors d’usage les réseaux de communications. L’humanité se trouve alors dans l’obligation d’à nouveau se parler et s’écouter. Cette spéculation n’est pas la moins lumineuse des idées qui innervent les croquis et esquisses de Ryüsuke Hamaguchi, es-orfèvre de la conversation. Coïncidences, ambivalences.., ses Contes du hasard et autres fantaisies amusent, intriguent, interpellent et, à l’arrivée, distillent un plaisir délicat, profond et persévérant.

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