Droit dans les yeux

Actualité du 21/11/2023

Tout commence par un ordinateur portable balancé en plein visage. Ça se poursuit par un stylo planté dans l’avant-bras. Et lorsque une automobile fonce droit sur lui, le doute n’est plus permis : le monde a une dent contre Vincent.

Dès les premières séquences, Vincent doit mourir distille une inquiétude palpable puis une terreur de rare intensité. Attachés à ce graphiste solitaire et sans histoire, nous partageons son désarroi, puis sa panique, lorsqu’il constate la folie meurtrière qui saisit toutes les personnes dont il croise le regard.

Une solution : fuir les gens et s’isoler dans une maison familiale, au fin fond de la campagne. Sur place, le proscrit bidouille une organisation qui lui garantit ravitaillement et protection. Tout au long de cette section aussi tendue qu'inexplicable, Stephan Castang évite les attendus spectaculaires. Le réalisateur dose avec brio, la sauvagerie des agressions et l’insolite, parfois cocasse, de certaines situations (la perplexité des enquêteurs, la confusion des assaillants après dégrisement). Le visage poupin, insondable, le corps à la fois massif et élastique de Karim Leklou, donnent toute son incarnation à ce cauchemar éveillé, dont l’épouvantable culmine lors d’une remise de courrier.

Le calvaire de Vincent emprunte des voies nouvelles lorsque Margot lui amène burgers et viande crue (pour le chien). L’entrée en scène de Vimala Pons, insuffle fantaisie et sensualité à l’échappée, qui vire à l’excursion sentimentale, agrémentée de menottes et de visages tuméfiés. Dans ces instants, Stephan Castang prend à revers la symbolique sadomasochiste qui devient ici, l’unique garantie d’une relation durable et épanouie. Peu à peu, la fuite des tourtereaux déglingués se fond dans une exode massive, semblable aux mouvements de population, récemment décrits dans Acide et Le Règne animal.

Au même titre que Just Philipot et Thomas Cailley, Stephan Castang met l’anticipation et la fantasmagorie au service d'une fable de la folie ordinaire, qui ausculte l’humeur d’une époque, friande de boucs émissaires, saturée de violences désinhibées. Récit de survie, allégorie brutale et kafkaïenne, ce passionnant coup d’essai, adjoint un nouveau talent à cette école émergente, au service d’un cinéma fantastique français, qui combine vision, ingéniosité et références, dans des œuvres à la fois singulières, adultes et solidement maîtrisées.

Enluminé par un générique d'ouverture, dont l'implacable géométrie salue l'œuvre de Saul Bass, graphiste, collaborateur d'Alfred Hitchcock, en particulier sur La Mort aux trousses (1959), classique de la traque paranoïaque, Vincent doit mourir s’impose comme un film de terreur diablement efficace, doublé d’une sublime variation sur le mythe d’Orphée.

Photographies : Capricci distribution.

 

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