Dumas en mode commando

Actualité du 08/04/2023

Il est toujours intéressant d’examiner la manière dont une légende traverse le tamis du temps et des époques. Absents des cinémas depuis la version façon cape-épée-arts martiaux, concoctée en 2001 par Peter Hyams, Les Trois Mousquetaires sont de retour à l’initiative de Dimitri Rassam, fils de Claude Berri, flanqué de l’insubmersible Jérôme Seydoux.

D’Artagnan est premier volet d’un diptyque à la fois majestueux et ténébreux. Le ton s’affiche dès le pré-générique où, par une nuit pluvieuse, le héros (François Civil) frôle le trépas lors d’une sauvage agression. Revenu d’entre les morts, le jeune homme entre dans un Paris hivernal, populeux et dangereux. Promptement admis dans les hautes sphères, l’aspirant découvre les ors de la monarchie, ternis par la suie des candélabres. Autoritaire et cassant Louis XIII (Louis Garrel) s’avère moins préoccupé par la fidélité de son épouse (Vicky Krieps), que la menace d’une nouvelle Saint Barthélémy. Dans ses quartiers, le cardinal Richelieu (Eric Ruf) règne sur un aréopage de scribes qui grattent dans la pénombre.

A son arrivée, le cadet de Gascogne batailleur et néanmoins cœur de chou-fleur devant sa Constance (Lyna Khoudri), toise Porthos (Vincent Cassel) miné par une endémique neurasthénie, Aramis (Romain Duris), séminariste défroqué qui bénit ses conquêtes en guise de révérence et Athos (Pio Marmaï), dont l’appétit insatiable déborde sur une sexualité débridée (mentionnée mais peu développée). Dans l’ombre, Milady de Winter (Eva Green), étend sa toile et attend son heure, en décembre prochain, date de sortie du second épisode qui porte son nom.

Découverts et consacrés grâce au Prénom, la pièce puis le film (2015), Alexandre de La Patellière et Mathieu Delaporte, dans leur adaptation, évacuent l’affaire des ferrets (dont l’issue est connue de la majorité des spectateurs) pour se concentrer sur la peinture d’un pouvoir, fissuré par les conflits religieux (sécession protestante à La Rochelle), sous fond de guerre des polices entre mousquetaires du roi et gardes du cardinal.

Loin des duels virevoltants filmés en 1953 par André Hunebelle ou, huit ans plus tard, par Bernard Borderie, les affrontements ordonnés par Martin Bourbolon, sont brefs, brutaux, fixés en plans séquence-caméra subjective, façon Le Revenant (Alejandro González Iñárritu 2015). Le réalisme atteint son apogée lors de la tentative d’assassinat de Louis XIII, assimilée à un attentat terroriste, perpétré du haut du buffet du grand orgue de Notre Dame.

Dans la modernité ambiante, les mousquetaires ne forment plus une bande de chevaleresques spadassins mais un groupe d’intervention qui exécute ses missions dans une loyauté sans faille, un pragmatisme sans partage puis se serre les coudes, au sens propre du terme, lorsque l’un des leurs est condamné.

Il est loin Gene Kelly, D’Artagnan bondissant devant la caméra de George Sidney (1948), perdus de vue les ferrailleurs ripolinés des années 60 ou ces mousquetaires pop, face à Faye Dunaway-Milady et Christopher Lee sous le bandeau du sinistre Rochefort, immortalisés en 1973-74 par le fantasque Richard Lester. Signes des temps, les héros de Dumas s’apparentent désormais à un commando GIGN, pris en tenaille entre hostilités confessionnelles et luttes de pouvoir. Dans D’Artagnan 2023, le panache cède la place à l’efficacité. Protéger et servir, telle pourrait-être la nouvelle devise des Mousquetaires car, vraiment, Un pour tous, tous pour un, ça sonne trop old school, limite Front Populaire. Les signes du temps trouvent ici une fastueuse traduction.

 

Retour à la liste des articles