Dupieux des rails

Actualité du 17/05/2024

Comme le laisse augurer son titre, Le Deuxième Acte peut s’appréhender comme le second volet d’un diptyque inauguré parYannick (2023). Dans l’antépénultième réalisation du prolifique Quentin Dupieux (3 films en 9 mois), un spectateur excédé par la médiocrité d’un spectacle, interrompt la représentation, entreprend une réécriture avant de constater que l’inspiration et le talent n’ont rien d’une science infuse.

Pour sa nouvelle bande, Dupieux délaisse l’unité de lieu propre au théâtre et réintègre ses no man’s lands de prédilection. Donc, quelque part en Dordogne, quatre acteurs sont en tournage. Le quatuor se compose d’une comédienne en mal d’assurance (Léa Seydoux), d’un briscard confit de nostalgie (Vincent Lindon), son cadet à la prudence carriériste (Louis Garrel) et un néophyte peu affûté à la bien-pensance (Raphaël Quenard).

A la base film dans le film, Le Deuxième Acte enchaîne des plans séquences au cours desquels les interprètes passent, sans transition, des réparties de leurs personnages à des apartés sur leurs névroses, les écueils de la profession ou les qualités très évasives du matériau qui leur est confié.

Arnold et Willy, la bouteille de vin, la vraie nature du metteur en scène.., le récit parsème des loufoqueries que l’on aime à se remémorer à la suite de la projection. Mais, tout au long de cette suite d'algarades et conversations, Quentin Dupieux, sur les brisées de Yannick, confirme ses considérations sur l'emprise des normes, les mesquineries égotiques et la vanité surplombante en lice dans certains cénacles artistiques. La componction se corse, ici, de piques adressées aux chausse-trappes ambiantes.

L’un martèle son hétérosexualité binaire. En rétorsion d'une approche malentendue, l’autre menace d’une déclaration susceptible de fracasser l’avenir de son enjôleur. Un troisième surveille la conformité de son langage.. . Délivré avec une jubilation palpable par des interprètes étincelants dans les ruptures de ton, Le Deuxième Acte égratigne l'air du temps, son culte de l’irréprochable, où l’anathème étouffe la controverse et la formule supplante la complexité.

La décision de placer cette fantaisie sarcastique en ouverture du Festival de Cannes confirme l’empathie de son délégué général pour l’entreprise collective, célébrée dans Coupez !, comédie de Michel Hazanavicius, qui assura la même inauguration en 2022, au même titre que les excentriques francs-tireurs, tel Roger Corman (1926-2024), roi de la série B, acclamé lors de la clôture de l’édition 2023. Elle résonne enfin avec sa volonté exprimée de défendre les films au-delà des polémiques et procès d’intentions.

Incorrect, désopilant, désenchanté, le nouveau délire de Quentin Dupieux magnifie les solistes et honore l’équipe, comme en témoigne l’épilogue, soit 650 mètres de voie ferrée, qui dévoile l’envers du décor et salue le travail des invisibles.

Et si notre rêve était la réalité ? La question, incontournable depuis son premier opus, se réitère à la toute fin. Pas de doute, chez Quentin Dupieux, héritier légitime de Don Luis Buñuel, l’imaginaire dit toujours la vérité.

Photographies : Chi-Fou-Mi, Arte France Production.

 

Retour à la liste des articles