Fièvres de Noël

Actualité du 03/12/2021

Fièvre : élévation anormale de la température du corps (Dictionnaire Le Robert). Dans La fièvre de Petrov, tout est un cran au dessus : la longueur du film (2H26), la durée des plans (certains frisent les 20 minutes), la nature des situations, entre hallucinations et folie collective.

Le voyage débute en hiver, dans un bus. Petrov somnole, toussote. Il a la grippe. Petrov a de la fièvre. Le véhicule stoppe soudainement, un passager qui vient de lâcher un propos raciste est extirpé sur le trottoir, il est fusillé aux côtés de femmes et d’hommes en tailleur-complet veston, l’uniforme des technocrates. Quant à Petrov, il poursuit sa route couché dans un cercueil, à l’intérieur d’un corbillard… .

Kyrill Serebrennikov organise une équipée au cœur d’un état fiévreux. Le corps est alourdit mais l’esprit est bondissant. Les névroses, fantasmes, souvenirs se contaminent et brouillent la conscience.

A ceci viennent s’ajouter les lubies de Petrova, compagne de Petrov. La bibliothécaire se métamorphose en super héroïne, non pour sauver le monde mais pour satisfaire ses pulsions voire assouvir une exaspération. En guise d’épilogue, apparaît la Reine des neiges, déesse des enfants peu portée sur l'enfantement.

Jusqu'à la dernière image, la sarabande reste imprévisible, exacerbée mais toujours sous contrôle. Serebrennikov jongle avec le naturalisme, le merveilleux et la fantasmagorie. Il pulvérise les temporalités, de la Russie soviétique à l'empire poutinien. Il additionne la terreur étatique à la barbarie banalisée. Le délire est traversé de fusées, vestiges du culte de l’espace propre aux années 60, et des soucoupes volantes crayonnées par Petrov, auteur de bande dessinée, un artiste à l’instar du réalisateur.

Le dramaturge-cinéaste fut l’hôte à plusieurs reprises du Festival d’Avignon, la dernière invitation date de 2019 avec Outside, inspiré des écrits de Ren Hang, photographe persécuté par la censure chinoise. A cette occasion Serebrennikov ne s’est pas rendu à Avignon, pas plus qu’il n’était présent en juillet dernier à Cannes, lors de la projection de son film en sélection officielle.

Accusé puis condamné avec sursis pour détournement de fonds, lorsqu’il était à la tête du Centre Gogol à Moscou, l’homme reste assigné à résidence. Outside s’est répété, La fièvre... s’est tourné entre les séances de son procès. L’isolement demeure un terreau propice à l’imaginaire, vecteur d’évasion face au rumeurs et à l’indignité. Cette situation personnelle fournit un carburant supplémentaire à une odyssée en surchauffe qui malaxe colère et mélancolie,  brûlot politique et introspection poétique, échappée grand-guignolesques et bacchanales copieusement « vodkaisées ».

A n’en point douter La fièvre de Petrov constitue un sommet du cinéma fantasmatique. Et du Cinéma tout court.

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