Tant qu’il y aura des hommes de cinéma comme lui, on n’aura jamais à craindre un déclin de la production cinématographique. Celui qui sait tout de la technique d’un film, est capable d’en renouveler chaque fois le langage.
Géant de Hollywood en villégiature à Cinecittà, Raoul Walsh, saluait ainsi son directeur de la photo, à l’issue du tournage de Esther et le roi (1960). L’éloge définit à merveille l’art et le génie de Mario Bava (1914-1980).
Chef opérateur, créateur d’effets spéciaux, sauveteur de films, ce fils de sculpteur ne cessa de bricoler, d’innover, d’inventer, toujours dans la plus grande discrétion.
Je pensais que, pour être réalisateur, il fallait du génie, un immense talent. D’autre part, chef opérateur, j’étais très bien rémunéré, comme un coq en pâte.
Promu metteur en scène, il pose les jalons du cinéma fantastique latin avec Les Vampires (1956) et Le Masque du démon (1960). Avec La Fille qui en savait trop (1962) puis Six Femmes pour l’assassin (1964), il invente le giallo horrifique, qui sera développé, à partir de 1970 par Dario Argento. En 1971, La Baie sanglante établit les codes du slasher et cisèle le creuset des séries Vendredi 13 (1980) ou Les Griffes de la nuit (1984).
Mario Bava illustre la formidable richesse de la cinématographie transalpine des années 60-70, où émergeait partout des créateurs de formes : Roberto Rossellini, Luchino Visconti, Federico Fellini, Michelangelo Antonioni dans le registre auteurisant, Sergio Leone, Mario Bava, Dario Argento dans les circuits d’exploitation. Tout ceci pour la plus grande gloire du 7ème Art.
Le Masque du démon est né d’une gratification. Chef opérateur sur La Bataille de Marathon, Mario Bava achève le tournage, suite au départ de Jacques Tourneur, éminent réalisateur plus à son affaire dans l’inquiétude monochrome : La Féline (1942), Vaudou (1943), que dans le péplum chamarré. Par reconnaissance, les producteurs lui proposent de financer son passage à la mise en scène.
Bava accepte et suggère Vij, conte de Nicolas Gogol, qu’il avait, auparavant testé auprès de ses petits enfants. Face à la frayeur générale, il nonno pensa qu’il tenait un bon sujet. Seule exigence non négociable : malgré le triomphe-technicolor des premiers Hammer films : Frankenstein s’est échappé (1957), Le Cauchemar de Dracula (1958), son film se tournera en noir et blanc.
L’adaptation de la nouvelle se ramifie en une suite d’insidieux plans séquences, en osmose avec la malédiction qui contamine l’espace et ses résidents. Pour le double rôle principal, Bava obtient la venue d’une rétive irlandaise, blacklistée à Hollywood.
Barbara Steele ne comprend pas l’italien. Mario Bava ne parle pas anglais (ce dont on peut douter) et se montre moins attentif aux acteurs qu’à la composition de chaque plan. A l’écran la réalisateur magnifie la saisissante plasticité du visage de l’actrice, tantôt consumée de haine, tantôt révulsée d’effroi.
Créateur des saisissants effets spéciaux, souvent fondés sur des variations lumineuses, Mario Bava affirme, à travers son formalisme, une inclination pour les visages lacérés et les transgressions morbides (le baiser capiteux échangé par Asa et Kruvayan).
Diffusé en 1960, Le Masque du démon marque l’aube de l’âge d’or du Fantastique transalpin et la naissance d’une icône du genre. En l’espace de six années, l’actrice enchaînera une vingtaine films, dont une bonne moitié constituée de bandes horrifiques où elle assure parfois un double rôle : La Sorcière sanglante-Antonio Margheriti-1964, Les Amants d’Outre tombe-Mario Caiano-1965 (chef-d’œuvre!), Barbara Steele fut la seule interprète féminine à partager le haut des affiches avec Peter Cushing, Christopher Lee, Vincent Price, véritables stars du moment.
En 1966, Barbara décida de ne plus s’allonger dans des cercueils. L’âge d’or du cinéma fantastique italien ne s’en remettra pas.
En 1962, Mario Bava fraie avec le giallo (polar italien) et signe La Fille qui en savait trop. Saupoudré de séquences nocturnes, tournées sur l’escalier de la Place d’Espagne, haut lieu touristique de la cité romaine, ce thriller stylisé pique à la cruauté graphique de Psychose (Alfred Hitchcock-1960) et aux Krimis, polars made in Germany, inspirés par les récits à énigmes de Edgar Wallace. Trois ans plus tard suivra Six femmes pour l’assassin.
Un journal intime truffé de secrets compromettants déclenche une demi-douzaine de meurtres, perpétrés dans une cruauté graphique inédite à l’époque.
Des défilés de mode aux assassinats, l’intrigue enfile les rituels scrupuleusement chorégraphiés. Bava reprend le fétichisme de l’arme blanche et le tueur sans visage, déjà en lice dans La Fille.. . Mais le recours à la couleur et le théâtre des opérations : une maison de haute couture, plongent ses inclinations lugubres dans un tourbillon chromatique qui éclabousse étoffes, personnages et agressions. Couverture vermillon du cahier mortifère, mannequins écarlates disséminés dans le décor, la couleur rouge devient leitmotiv funeste au sein de ce haut-lieu du maintien et de l’élégance.
Inlassable inventeur de formes, Bava livre une bande au baroque inouï, doublée d’une œuvre matrice. Quatre ans plus tard, dans L’Oiseau au plumage de cristal, le jeune Dario Argento consacrera le gialli horrifique dont la syntaxe : couteaux phalliques, liturgies cruelles, contrastes coloristes, découle en ligne directe de l’imagination de Mario Bava.
Six femmes pour l’assassin marque un tournant du giallo, à l’image de Pour une poignée de dollars, qui révolutionna, la même année, le western européen.
Je n’ai tourné que des conneries. Et des grosses.
Confessa Mario Bava au crépuscule de sa vie. Des conneries comme Le Masque du démon ou Six femmes pour l’assassin, l'on en redemande.
Références pour cet article : Mario Bava, bio-filmographie de Pascal Martinet, Edilig 1984.
Le Masque du démon, média-book, rédigé par Marc Toullec, Sydonis Calysta 2023.
Mario Bava, le maître des illusions : projection-rencontre autour du Masque du démon et Six femmes pour l’assassin, mardi 9 avril, 19H15, Cinéma Utopia-Manutention Avignon.