Fragilité masculin pluriel

Actualité du 05/09/2021

Premier rôle dans une série télé, Jessica suggère un break à Az son petit ami. Avec la complicité de Lila une bonne copine, celui ci répète un duo dansé pour affirmer sa virilité et reconquérir sa bien aimée. Tournage, bord de mer, soirée privée…, Fragile ne se déroule pas en Californie ou sur la Côte d’Azur mais à Sète et ses bassins ostréicoles.

Emma Benestan convoque les stéréotypes des rom-coms (romantic-comedies) mais se débarrasse de leur luxe de roman photo. Pour le reste la jeune réalisatrice respecte le cocktail obligé: une rasade de romance, un zeste d’humour, une pincée de tension et, dans les meilleures recettes, quelques gouttes d’élégance. Yasin Houicha, Thiphaine Davio et Oulaya Amamra (découverte en 2015 dans Divines, retrouvée en 2019 dans Le sel des larmes) forment un trio amoureux turbulent, cocasse, convaincant. Délicieusement.

A l’instar d’Antoinette dans les Cévennes, Fragile est le film idéal de fin d’été, un joli moment gorgé de soleil, de plaisir de vivre..., et de fruit de mer.

Une histoire d’amour et de désir partage avec Fragile bon nombre de points communs . Les deux racontent une éducation sentimentale au masculin, à travers un regard féminin posé sur une jeunesse majoritairement issue de l’immigration.

Le bac en poche, Ahmed quitte sa cité pour la Sorbonne. Sur les bancs de l’amphi, puis dans le métro, il croise Farah, elle aussi nouvelle venue au centre de la capitale. Il lui offre Camus, elle lui conseille quelques classiques de la littérature arabe. Comme le titre l'indique, les sentiments puis le désir s’insinuent à travers les mots, les lectures et les conversations. Aux côtés de Farah, sa prudence décomplexée, Ahmed s’initie à un milieu et des états qu’il ne connaît pas. Mais de retour au quartier, reviennent les obligations de garçon en général, de grand frère en particulier.

Dans le sillage des Contes moraux d’Eric Rohmer ou, plus proche de nous, du cinéma d’Emmanuel Mouret (Mademoiselle de Joncquières 2018, Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait 2020), Leyla Bouzid livre un récit d’apprentissage discrètement lettré, infiniment sensuel et d’une grand subtilité dans la géographie des sentiments, mais aussi par l’attention aux personnages périphériques en particulier la famille et le père d’Ahmed, exfiltré de l’Algérie d’aujourd’hui.

En inversant les codes, ici c’est l’homme qui tergiverse face à une femme qui l’attend, la réalisatrice considère le masculin avec un sourire éclairé et une tendresse circonspecte. Chez Leyla Bouzid comme chez Emma Benestan, la fragilité n’est pas le monopole d’un sexe (d’un genre?) et le religieux reste hors champ. Voilà qui est roboratif et éminemment reposant.

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