France en larmes

Actualité du 30/08/2021

Journaliste vedette d’une chaîne d’information, France de Meurs s’ouvre à la souffrance non pas lors d’un reportage en zone de guerre mais suite à un banal incident dans un embouteillage. Burn out ou révélation ? Quoi qu’il en soit France démissionne, se retire de la vie publique et passe de l’autre côté, de manipulatrice à manipulée. Car au sommet de l’audimat, les médias fonctionnent comme la mafia : une fois entré il est difficile d’en sortir. Résultat : France ne cesse de pleurer, un peu sur les autres, beaucoup sur elle même.

Pour son dixième long métrage, Bruno Dumont se penche sur la mise en spectacle de l’information et les multiples manières (cadrage, montage, traduction...) de déformer le réel. Le gouffre aux chimères (1951), Network (1976), Le faussaire (1981)…, le sujet a été traité. Mais le réalisateur cherche plus loin et interroge ce qui pousse des journalistes, considérés par beaucoup à commencer par eux même, comme un corps d’élite, à entretenir l'ignorance à travers la falsification. A cet effet France s’inscrit dans une œuvre traversée par la transcendance, habitée par des êtres dépourvus ou portés par une lumière intérieure. Ce peut être la Foi, Dumont s’est penché à deux reprises sur Jeanne d’Arc, ou un idéal, une éthique qui peuvent s’estimer mais jamais se mesurer.

Saisie par une poussée de déontologie, France a souvent les yeux mouillés, en gros plan, plongée et contre plongée. Révolte ou soumission? Là est la question. Mais the show must go on ! Avec tailleurs sexy, vestes bigarrées, lèvres outrageusement maquillées (le parallèle clownesque est évident). En vertu du principe selon lequel les idéaux déçus génèrent un cynisme inoxydable, France redevient la grande professionnelle qu’elle a toujours été.

Derrière France, son prénom, sa vie en dent de scie, perce la fable sur un pays, un peuple traversés par des bouffées de compassion comme lors des attentats de Charlie Hedbo et du Bataclan. Dans ces sidérations de masse, on sent que les lignes peuvent bouger, que certaines façons de voir ou de vivre peuvent changer. Puis les habitudes reviennent et les affaires reprennent. A travers France de Meurs, la France demeure. Mais pour combien de temps ?

Soutenu par l’engagement total et complice de Léa Seydoux, Bruno Dumont poursuit son chemin de formaliste-moraliste, attaché aux forces et aux esprits tapis derrière les visages et les paysages. Depuis 25 ans le bonhomme trace sa route. Le chemin mérite un détour.

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