Grand film malade

Actualité du 26/08/2025

 

Malmené et même lynché par une partie de la critique, Alpha est néanmoins reparti du dernier Festival de Cannes avec le prix de la Commission supérieure technique de l’image et du son. Nul doute qu’aux contrastes délavés conçus par le chef opérateur Ruben Impens, qu’aux nappes sonores mixées par Stéphane Thiébaut, le jurés de la CST auraient pu adjoindre les maquillages spéciaux réalisés par Olivier Afonso. Quoiqu’il en soit, cette récompense technico-artistique souligne, à son tour, les prééminences formelles qui structurent le cinéma de Julia Ducournau.

Déjà abordées dans Grave (2017) et Titane (2021), l’adolescence, la mutation affleurent à nouveau dans le troisième film de la réalisatrice. Ainsi Alpha (Mélissa Boros) rentre chez elle avec un A sommairement tatoué sur son bras. La marque suscite la colère de Maman (Golshifteh Farahani), cheffe de service dans un hôpital mis en tension par une pandémie véhiculée par certains fluides corporels.

Les spécificités de la maladie, la marque d’un temps où les images se propagent via un tube cathodique et les communications s’effectuent par le seul téléphone fixe, renvoient à la décennie 80 et réaniment, à l’évidence, les années SIDA.

Les exclusions volent en escadrille. Détourné du scénariste-dialoguiste Michel Audiard (1920-1985), cet adage se vérifie tout au long de Alpha. Au cœur de la contagion, la marque mal cicatrisée provoque la marginalisation brutale de la collégienne. Des rumeurs d’homosexualité placent un prof d’anglais (Finnegan Oldfield) au ban de sa classe. Dans l’appartement, surgit Amin (Tahar Rahim). Le toxicomane, au premiers stades de l’infection, demande refuge à sa sœur et sa nièce.

Alpha travaille à nouveau (au corps) la famille et les fratries fusionnelles jusqu’à la transgression. Pourtant, restitué dans une empathie complice par la réalisatrice, d’origine kabyle par sa mère, le coucous partagé apparaît comme un répit à la catastrophe, voire une antidote à l’Armageddon.

En ouverture de la spirale cauchemardesque, l’échappée par l’échafaudage battu par le vent, cite The Crimsom Permanent Assurance, somptueux court-métrage réalisé par Terry Gilliam, en ouverture du film Monty’s Pythons The Meaning of Life (1983). Plus loin, une télévision diffuse Les Aventures du Baron de Münchausen, réalisé en 1988 par le même auteur. Ces citations célèbrent l’ébouriffant dessinateur-cinéaste, par ailleurs à l’origine de Brazil (1985) et L’Armée des 12 singes (1995), deux classiques du cinéma dystopique.

Julia Ducournau se place sous l’égide de ce modèle, pour le meilleur : l’imaginaire débordant ; et le moins convaincant, Gilliam ayant parfois tendance à empiler les affabulations au détriment de la narration.  À ce titre et à défaut d’un récit, Alpha avance par tableaux. La séquence de la piscine, le travelling dans la salle commune où agonisent des gisants en voie de calcification, relèvent d’une incontestable intensité visuelle. Cependant le film tire à la ligne dans son dernier tiers, lorsque les personnages prennent le pas sur l’action.

En dépit de l’engagement des interprètes, jusqu’à l’excès en ce qui concerne Tahar Rahim, qui après s’être surchargé de prothèses pour personnifier un chanteur mythique dans Monsieur Aznavour (Grand Corps Malade, Mehdi Idir 2024), s’amaigrit de 20 kilos afin se se fondre dans la silhouette infectée de Amin, le film s’abîme dans les redites hystériques, voire ampoulées (le recours final et grandiloquent à la Symphonie N°7 de Beethoven).

Pour ce troisième opus, Julia Ducournau élargit ses visions fantasmagoriques à l’échelle d’une société. Mais, à défaut de co-scénariste susceptible de canaliser (et bonifier) son inspiration, la réalisatrice se grise et s’enferre parfois dans la toute puissance de son imaginaire .

Certes imparfait, Alpha n’en demeure pas moins une fresque rétro-futuriste d’une brûlante modernité. Un grand film malade dans tous les sens du terme

Photographies : Diaphana Distribution.

Retour à la liste des articles