Publié à partir du printemps 1959 dans l’édition du dimanche du journal Sud Ouest, Le Petit Nicolas subit, entre 2009 et 2021, trois ripolinages cinématographiques.
Logique et audacieux, le nouveau projet porté par Amandine Fredon et Benjamin Massoubre s’avère beaucoup plus convainquant. Tout d’abord par le recours à l’animation qui restitue le trait des illustrations : une ligne épurée, ambrée d’aquarelle ; mais aussi par l’inclusion des créateurs : Jean-Jacques Sempé (doublé par Laurent Lafitte) et René Goscinny (avec la voix d’Alain Chabat).
Force est de constater que la prime jeunesse ne fut guère rayonnante pour le dessinateur : mère mal aimante, beau père brutal et le scénariste dont la famille décimée par le nazisme, émigra vers l’Argentine. Ainsi le quotidien espiègle de ce petit garçon, élevé par des parents unis et magnanimes, découle de deux enfances contrariées.
Qu’est ce qu’on attend pour être heureux ? La question sous-titre le film coscénarisé par Anne Goscinny, fille de l’écrivain humoriste. L’interrogation désigne une chanson de Ray Ventura qu’appréciait Sempé, par ailleurs grand amateur de musique et de Jazz, mais elle résume également l’amitié entre un dessinateur qui détestait la bande dessinée et un auteur, né d’une mère russe et d’un père polonais, qui savourait enfin la liberté, à Paris, à l’aube des trente glorieuses.
La complicité affectueuse des deux artistes s'intercale dans quelques unes des 222 escapades du Petit Nicolas. René tapait à la machine, Jean-Jacques dessinait à la plume les tranches de vie d’un gamin qui aime le foot, regarde des westerns et rêve d’avions. Nicolas retrouve Alceste, Rufus, Clotaire.., ses copains, à l’école des garçons l’hiver, en colonie de vacances l’été. Ils joue sur un tas de sable, chahute mais adore la maîtresse. Néanmoins il évite Louisette et Marie-Edwige avant de vouloir toutes deux les épouser. C’était il y a plus de soixante ans. Et c’était chouette.
Si elle est indéniable en ces temps de relations en ligne, de métissage et de familles recomposées, la nostalgie reste allègre, enveloppée d’une bonne humeur délicate si caractéristique des dessins de l’un et des écrits de l’autre. Dans la salle obscure, les bagarres, les surnoms, l’école buissonnière provoquent encore les exclamations et les rires enfantins. Preuve qu’au-delà d’un contexte et d'un décorum révolus, Nicolas atteint un je ne sais quoi d’universel, d’intemporel.
Après René Goscinny, disparu brutalement en novembre 1977, Jean-Jacques Sempé nous a quittés le 11 aout dernier. Désormais Le Petit Nicolas est l’orphelin le plus joyeux de la planète.