Hôtesse de l’ère

Actualité du 04/03/2022

Polyglotte, souriante, bien roulée, Cassandre accueille, place, égrène les consignes puis, durant le vol, échauffe les cartes bancaires des voyageurs. Cassandre est hôtesse de l’air chez Wing Air lines, compagnie low cost dont les logos jaunes et bleu renvoient à un consortium aérien de souche irlandaise.

Si elle voyage beaucoup, Cassandre voit peu de pays, partageant ses escales entre un lit en coloc et des soirées qui l’étourdissent jusqu’au bout de la nuit. Cassandre est un bon élément, son chiffre est élevé, elle est disponible en période de fêtes et de fériés. Mais gare à une jambe mal rasée (sic) où à cette mignonnette offerte, sur ses deniers, à une passagère déprimée. Lorsqu’on la rappelle à l’ordre, Cassandre explique, justifie, conteste un peu mais admet rapidement. Puis elle retrouve son sourire (parfois un peu crispé) et retourne dans le cadre. A quand Me too dans les compagnies aériennes ?

Professionnelle au sang froid ? monolithe d’indifférence ? Cassandre trace sa route, cumule les heures de vols, agrémentées de passades alcoolisées. Seul l'appel d’un opérateur téléphonique déclenche des larmes inattendues, promptement refrénées.

Dans le dernier tiers de Rien à foutre, Cassandre revient à la maison, découvre que sa chambre est désormais une réserve d’archives, constate que son père (Alexandre Perrier) et sa sœur (Mara Taquin) survivent, tétanisés par la tragédie qui dévasta la famille, il y a quelques temps. Eux sont restés, elle, s’est envolée, en quête d’une autre carapace.

Coréalisateurs de Rien à foutre, Julie Lecoustre et Emmanuel Marre documentent sans commentaires. Ils placent Adèle Exarchopoulos (omniprésente, impeccable), son visage apprêté (essentiel chez les hôtesses de l’air), face à d’authentiques navigants, dont le langage et les comportements relèvent du ressenti et de l’expérience. Dans les séquences familiales, ils laissent la caméra tourner, à l’affût d’éclairs de vérité, comparables aux pépites qui illuminent le cinéma de Maurice Pialat.

Cassandre abasourdit ses douleurs dans les prestations enchaînées, minutées, évaluées, selon les règles du salariat mondialisé. Mais Cassandre nourrit quelques espérances : devenir hôtesse pour une compagnie du Golfe, porter un tailleur griffé et traiter les voyageurs non comme des clients mais comme des passagers. S’extirpera-t-elle un jour des selfies sans lendemains, des utopies touristiques, de son armure d'obéissance  ? C’est une autre histoire. En attendant celle ci embarque de bout en bout.

En illustration ci contre: "L'ouvreuse", peinture d'Edward Hopper (1939), l'une des inspirations du film de Julie Lecoustre et Emmanuel Marre

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