A priori il aime le rouge puisque, une bouteille de vin sous le bras, le bonhomme baguenaude vêtu d’un simple slip écarlate. Il faut dire que Raoul a tout perdu : ses vêtements sur la plage, son véhicule de fonction sur le bord de la route et, par ricochet, son emploi de représentant d’une marque de picrate. Mais avant tout, Paul porte le deuil de sa fille partie étudier sur les bords de la Méditerranée. Entre deux gorgées de ce qui lui reste en stock, le père essore son chagrin au gré d’une une quête d’explication.
L’investigation se déroule à Marseille. Plus qu’un contexte, un décor, certains arrondissements et leurs habitants en deviennent les caractères prioritaires. On y entend des accents, mais pas forcément des intonations pagnolesques. Il est question de drogue mais pas de mafia. Le rap et le foot restent hors-champ ; mais la musique, elle, est omniprésente.
A cet égard, Fotogénico est cosigné par Benoît Sabatier, dont la cinéphilie repose sur les bandes originales de Phantom of Paradise (Brian De Palma 1974) ou Ténèbres (Dario Argento 1982). L’éminent critique musical partage ses goûts avec Marcia Romano, co-scénariste de Emmanuel Bourdieu et Audrey Diwan, souvent consultante en écriture, récemment sur Vingt Dieux de Louise Courvoisier.
Rien d’étonnant donc à ce que Raoul troque sa boutanche pour un disque vinyle, unique album de Fotogenico, groupe féminin new-wave dans lequel œuvrait son enfant disparu. Vengeance et résilience : pour Raoul, outre la recherche d’un dealer mortifère, la consolation passe par la recréation de la formation.
Du Cours Julien jusqu’àux alcôves sablonneuses de la Pointe Rouge, le paternel croise, entr’autres, une disquaire boudeuse mais perspicace (Angèle Metzger), une serveuse tanquée sur ses rollers (Roxane Mesquida), un veilleur de nuit (Rayan Khennouf) en faction dans un trou (sic), un quinqua polygraphe, hermétique à l’orthographe et la syntaxe (John Arnold).
Au même titre que Robert Guédiguian chantre de l’Estaque, havre de convivialité solidaire et populaire, Sabatier et Romano glamourisent des friches-quartiers, repaires d’une faune bigarrée, d’où infuse une culture modeste et effervescente. En conséquence, Fotogenico mélange allègrement les genres, des identités intimes aux typologies de cinéma.
Sur les pas de ce patriarche dont l’intensité du chagrin n’a d’égale que l’absence de complexes, la traque funèbre dérive vers un pittoresque, souvent hilarant. Omniprésent, silhouette déliée, moustache au vent, Christophe Paou instille son panache flegmatique à ce cador de l’incruste, plutôt à son aise parmi les façades taguées, les échoppes insolites et les précaires colocations.
Malgré son prétexte cafardeux, l’errance distille une griserie iconoclaste qui intrigue, amuse et attendrit. Bien sûr, l’embarcation peine à tenir le cap. Toutefois et malgré quelques empannages hasardeux, l’on s’abandonne dans ce Marseille underground et à ciel ouvert, dont le féminisme circonspect et l’euphorie inventive attisent une plaisante curiosité.
Gorgé de couleurs, de faconde et de décibels, Fotogenico s’appréhende comme une pépite de contre-culture, signe avant-coureur d’une excitante Movida.
Photographies : JHR Films.