Il y a de la beauté dans le contrôle. Il y a de la grâce dans la symétrie. L’aphorisme revient tel une antienne dans les conversations à Victory, du nom de la firme qui emploie les hommes de ce hameau pavillonnaire.
Les années 50, quelque part dans le désert de Californie, les habitants de Victory coulent une vie solaire et bien réglée. Après un breakfast nappé de tubes fredonnants, les messieurs rejoignent leur projet ultra secret, dans l’usine aménagée à l’intérieur d’un pic montagneux (comme c’est souvent le cas dans les bandes SF des fifties). A la maison les épouses ménagères rangent, astiquent, mitonnent puis aérobiquent et papotent jusqu’au retour du bien aimé.
Les soirées entre voisins (et néanmoins amis) sont toujours chaleureuses. Les réceptions organisées par Franck, le boss de Victory (Chris Pine mi gourou, mi patriarche), sont invariablement fraternelles et fastueuses.
Épouse comblée, Alice (Florence Pugh) est parfois étourdie par les visions récurrentes d’une pupille qui se dilate et se contracte jusqu’au vertige. Les malaises s’étendent lorsque la jeune femme pousse trop loin vers l’usine interdite.
Difficile d’en écrire plus sur Don’t Worry Darling, au risque de divulgâcher le mystère et l’inquiétude tapies dans ces trop belles tranches de vie. La perplexité reste de mise jusqu’au retournement, traditionnel dans les suspenses d’aujourd’hui. Ici le coup de théâtre passe par un changement de point de vue. Le regard d’Alice cède la place à l’approche de Jack, son époux (Harry Styles).
Don’t Worry Darling puise dans la paranoïa bariolée du Prisonnier (1967) série imaginée, interprétée par l’inoubliable Patrick McGoohan et l’angoisse ouatée de Stepford Wives, best seller d’Ira Levin, adapté à l’écran en 1975 par Bryan Forbes.
Devant et derrière la caméra, Olivia Wilde déploie une approche raffinée des déterminismes de genre. Les hommes au travail et les femmes aux foyer ! Le schéma se disloque dans un féminisme cinéphile : les hallucinations d’Alice façon Busby Berkeley, chorégraphe-metteur en scène, spécialiste des empilements de girls-potiches. Les stéréotypes se brisent sur la physicalité sensuelle de Florence Pugh, la Lady Macbeth mutique découverte dans le réjouissant The Young Lady (2016).
Loin des des pamphlets théoriques et des incantations simplificatrices, Olivia Wilde déroule un dystopie incisive, dont les ramifications s’étendent de l’anatomie d’un couple, jusqu’au drame romantique. Décidément le bonheur de l’une ne réside pas toujours dans les intuitions de l’autre.